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commune, et, sous l’inspiration de Thouret, choisirent les salles de l’hôtel de ville pour y tenir leurs réunions. Ce chef du mouvement en Normandie arrivait donc à l’assemblée constituante ayant sur beaucoup de points, spécialement sur l’organisation administrative, et judiciaire, des idées très fermes, puisées surtout dans l’observation des faits. L’occasion ne pouvait lui manquer de les mettre au jour.

C’est au milieu de tumultueux débats que l’assemblée entreprit d’arrêter la déclaration des droits, le premier et sans contredit le plus important de ses travaux. Pour un moment, elle sembla transformée en un sénat de philosophes dissertant sur les lois fondamentales de l’humanité. Fallait-il une déclaration ? pourquoi cette vaine théorie ? Les droits naturels n’ont besoin d’être ni démontrés ni décrétés, ils subsistent d’eux-mêmes, et ne sauraient trouver aucune force dans les actes législatifs qui les proclament. Telles furent les objections que la droite développa dans un brillant langage. Elles n’étaient cependant que spécieuses. Une déclaration était nécessaire, non pour décréter les droits, qui s’imposent comme des nécessités sociales, mais pour rappeler au pays ce qui lui était dû, au pouvoir ce qu’il devait. La révolution était là tout entière. On le vit bien à l’ardeur de la lutte dans l’assemblée, aux passions qu’elle soulevait au dehors, surtout à la manière dont la question vint se poser dans la discussion. — Qu’importe l’exemple de l’Amérique ? ajoutait la droite. La société américaine est nouvelle, et n’a point eu de féodalité. Composée de propriétaires accoutumés à l’égalité, elle a pu recevoir directement la liberté. — Une fois ramené à ces termes, qui ne laissaient plus en présence que la féodalité et l’égalité, le problème fut promptement résolu. Les écrivains qui n’ont voulu voir dans la déclaration des droits qu’une sorte de lieu-commun philosophique ont répété le mot de la première heure dans l’assemblée, mais sans réfléchir que ce mot, prononcé encore le 4 août à la séance du matin, n’avait plus de signification à la séance du soir. C’est en effet le 4 août au matin que la déclaration, reconnue nécessaire, avait été admise en principe. Ni le clergé ni la noblesse ne se firent illusion. Tous leurs privilèges se trouvaient anéantis à la fois. En quelques heures, leur parti fut pris, et ils se décidèrent à en offrir d’eux-mêmes le sacrifice. Le coup de théâtre était prévu ; Mirabeau, qui le désapprouvait, s’abstint d’aller à l’assemblée. La séance de nuit du 4 août eut son côté sublime, et elle l’a conservé surtout pour nous, qui vivons de ses bienfaits ; mais pour une grande partie du clergé et de la noblesse, qui perdaient tout, on conçoit qu’elle eût un autre caractère. Le marquis de Ferrières n’y avait vu que des extravagances. « Les députés, debout et confondus pêle-mêle. au milieu de la salle, écrivait-il encore longtemps après, s’agitent et