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LES
JURISTES A LA CONSTITUANTE
ET
LES DROITS DES SOCIETES MODERNES

A peine les députés aux états-généraux se trouvèrent-ils, grâce à la fermeté du tiers, constitués en assemblée nationale, que la vérification des pouvoirs vint révéler le profond dissentiment qui régnait entre les trois ordres. D’accord pour demander des améliorations et des réformes, ils étaient trop séparés d’origine, de vues et d’intérêts pour s’entendre dès qu’il s’agirait d’indiquer avec précision les abus qui étaient à détruire. Leur antagonisme ne fit que s’accuser avec plus de violence à mesure qu’avançait la discussion. Ces déchiremens étaient au fond désapprouvés par le pays, qui aspirait à voir les ordres diriger leurs communs efforts vers le but suprême de leur mandat, l’établissement d’une constitution. Ce courant de l’opinion publique ne fut pas sans influencé sur l’assemblée, dans laquelle se forma un groupe de députés résolus à se tenir en dehors des coteries et à ne s’inspirer que des vœux énergiquement exprimés par les cahiers. Votant tantôt avec la droite, tantôt avec la gauche, faisant entre les partis extrêmes l’office de régulateurs, ils entraînèrent les décisions, et furent, comme on l’a dit, l’âme et le génie de l’assemblée constituante. Parmi eux et bientôt à leur tête se trouvèrent les juristes, la plupart sortis du barreau. Le tiers-état était allé spontanément vers eux, parce que de longue date il s’était habitué à leur confier ses plaintes, et il les avait appelés à défendre les cahiers, parce que plusieurs les avaient dressés eux-mêmes. Ils apportaient dans les délibérations un singulier mélange de vues pratiques et d’idées spéculatives, d’élévation politique et