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œuvres) de la création ? On en jugera par les phrases suivantes : « Dieu a tout fait de rien, du néant, de ce néant relatif qui est le possible ; c’est que ce néant, il en a été d’abord l’auteur comme il l’était de l’être. De ce qu’il a annulé en quelque sorte et anéanti de la plénitude de son être (se ipsum exinanivit), il a tiré, par une sorte de réveil et de résurrection, tout ce qui existe[1]. » Dieu auteur du néant, la création expliquée par une sorte d’anéantissement suivi d’un réveil et d’une résurrection, voilà, que M. Ravaisson nous permette le mot, de ces subtilités qu’il est bien difficile de faire entrer dans les intelligences même les plus familières avec les abstractions métaphysiques, et qui doivent rendre le spiritualisme indulgent pour le panthéisme. Que fait ici M. Ravaisson, l’éminent, le profond métaphysicien, sinon replonger la pensée contemporaine dans les mystères de la théologie orientale ?

C’est ce qu’il avoue du reste en véritable alexandrin du spiritualisme moderne. « Ce fut dans presque tout l’ancien Orient, et depuis un temps immémorial, un symbole ordinaire de la Divinité que cet être mystérieux, ailé, couleur de feu, qui se consumait, s’anéantissait lui-même pour renaître de ses cendres… Suivant la théologie indienne, suivant celle aussi qu’enveloppaient les mystères de la religion grecque, la Divinité s’était sacrifiée elle-même, afin que de ses membres se formassent les créatures… Selon la théosophie juive, faisant mieux au monde sa part sans compromettre celle de Dieu, Dieu remplissait tout ; il a volontairement, se concentrant en lui-même, laisse un vide où, d’une sorte de résidu de son être tous les autres êtres sont sortis… Selon les platoniciens des derniers temps, qui combinèrent avec les conceptions de la philosophie grecque celles de la théologie asiatique, le monde a pour origine un abaissement ou, suivant un terme familier aussi à la dogmatique chrétienne, une condescendance de la Divinité. Selon le dogme chrétien, Dieu est descendu par son fils, et descendu ainsi, sans descendre, dans la mort, pour que la vie en naquit, et une vie toute divine[2]. » M. Ravaisson termine ces rapprochemens par une réflexion qui ne sera peut-être pas du goût des savans qu’il veut gagner à la doctrine du spiritualisme. « Ces pensées sont celles encore, si nous ne nous trompons, vers lesquelles gravitent nos systèmes modernes, sans en excepter ceux qui semblent, qui veulent s’en écarter le plus. » Nous croyons volontiers que la science moderne, qui semble incliner aujourd’hui vers la philosophie matérialiste, n’aura pas trop de répugnance à entrer dans les voies que lui ouvre la philosophie spiritualiste dont M. Ravaisson est un des

  1. Rapport sur la Philosophie, p. 263.
  2. Ibid., p. 263 et 264.