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positive dans le bon sens du mot ! La réalité est ce qu’elle est ; il ne faut pas la dénaturer sous prétexte de l’expliquer. Le monde de la nature et le monde de l’esprit ont leurs lois propres, parce que les êtres qui les habitent ont des propriétés spéciales et caractéristiques. Faire de la nature un esprit à l’état d’ébauche, ou faire de l’esprit une nature à l’état de perfection, c’est également abuser des mots, et il n’y a guère moins de danger d’un côté que de l’autre à confondre, à identifier des réalités si profondément distinctes. Que l’on rapproche la matière de la pensée ou la pensée de la matière, il est toujours à craindre que les vraies limites des deux mondes ne s’effacent dans ce rapprochement en sens contraires.

Cette observation nous ramène à la conclusion de M. Ravaisson. Il n’est pas possible de professer un spiritualisme plus savant, plus profond, plus absolu et en même temps plus libéral. On peut voir en le lisant comment il concilie de la façon la plus simple et la plus naturelle la doctrine métaphysique avec la science positive. Il nous semble seulement qu’il ne résiste point assez à la tentation de spiritualiser toutes choses par amour excessif de l’unité. « Dans l’infini, en Dieu, la volonté est identique à l’amour, qui lui-même ne se distingue pas du bien et de la beauté absolue. En nous, la volonté, remplie de cet amour, qui est sa loi intérieure, mais en commerce aussi avec la sensibilité, qui lui présente des images du bien absolu altérées en quelque sorte par le milieu où elles se peignent, erre souvent incertaine de ce bien infini auquel, entièrement libre, elle tendrait toujours, à ces biens imparfaits auxquels elle aliène une partie de son indépendance. Dans la nature, à laquelle nous appartenons par les élémens inférieurs de notre être, la volonté, éclairée seulement par une lueur de raison, est comme sous le charme puissant de telle forme particulière qui la lui représente et à laquelle elle semble obéir d’une obéissance toute passive. Il n’en est pas moins vrai que, jusqu’en ces sombres régions de la vie corporelle, c’est une sorte d’idée obscure de bien et de beauté qui explique dans leur première origine les mouvemens, qu’en définitive ce qu’on appelle la nécessité physique n’est, comme l’a dit Leibniz, qu’une nécessité morale qui n’exclut nullement, qui implique au contraire, sinon la liberté, du moins la spontanéité. Tout est réglé, constant, et pourtant radicalement volontaire. » Le dernier mot nous semble un peu fort, même avec l’explication qu’en donne M. Ravaisson. S’il faut dire toute notre pensée, nous n’aimons pas qu’on mêle ainsi la métaphysique à la psychologie. Nous comprenons fort bien que la nature humaine n’est pas le type de la perfection, et qu’en remontant toujours l’échelle du progrès indéfini on arrive à concevoir une volonté et une liberté qui n’aient plus à se débattre entre des partis contraires, ainsi que cela arrive dans