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dérive deux principes différens d’explication des choses, deux doctrines philosophiques, le matérialisme et le spiritualisme, l’un expliquant tout par les lois de la nature révélées par l’expérience externe, l’autre expliquant tout par les lois de l’esprit révélées par la conscience : antithèse complète, profonde, aussi ancienne que la philosophie, et que l’éclectisme a proclamée nécessaire et éternelle. Le fait est que chacune de ces deux doctrines tient bon depuis les origines de la métaphysique contre les prétentions de la doctrine adverse, et qu’encore aujourd’hui la lutte ne semble pas près de finir. Comment résoudre cette antithèse, la plus grande et la dernière difficulté contre laquelle se débatte la pensée contemporaine ? Il ne s’agit point seulement de sauver une doctrine, si vitale qu’elle soit ; il y va du salut de la philosophie elle-même, dont une pareille antinomie tend à ruiner définitivement l’autorité. Qu’est-ce en effet qu’une prétendue science qui oscille perpétuellement entre les conclusions contraires sans jamais se fixer dans une méthode unique et dans une conclusion inattaquable ? Ici encore, c’est par une distinction qu’il nous semble possible et même facile de résoudre l’antithèse des deux célèbres doctrines. Chacune a son principe d’explication, qui semble exclusif de l’autre au premier abord, et qui ne l’est point, si l’on veut bien y regarder de plus près. Le matérialisme et le spiritualisme n’entendent pas le mot principe dans le même sens. Le premier cherche le principe des choses dans le comment, le second le cherche dans le pourquoi. Le principe du matérialisme n’est que la condition élémentaire d’un être donné, tandis que le principe du spiritualisme en est la fin, la raison, c’est-à-dire la vraie cause.

En un sens, la thèse du matérialisme est démontrée par l’expérience et la science positive. Tout être réel, depuis le minéral jusqu’à l’être pensant inclusivement, a sa condition élémentaire d’organisation et d’existence dans les lois de la chimie, de la physique et même de là mécanique. En s’élevant dans l’échelle des êtres, on remarque que l’être le plus complexe a toujours pour base l’être le plus simple, que le supérieur a pour substance l’inférieur, que l’être chimique a pour principe élémentaire les lois de la mécanique et de la physique, que l’être biologique a pour principe élémentaire les lois de la chimie, de la physique et de la mécanique, que l’être psychologique a pour principe élémentaire les lois de la biologie.et de toutes les sciences précédentes. C’est ainsi, pour ne parler que de l’être vivant, que l’observation microscopique des tissus a prouvé que les phénomènes physiologiques sont aussi exactement déterminés que les phénomènes physiques[1]. Aucun

  1. M. Claude Bernard, Introduction à l’étude de la Médecine expérimentale.