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intime et immuable des choses, crée à l’aide de l’abstraction, et toujours avec les données de l’expérience, ces essences pures, ces types, ces idées, dont il compose un monde à part, au-dessus du temps, de l’espace, de toutes les conditions de l’existence.

Que conclure de ceci, sinon que toute connaissance, toute science, toute philosophie, toute métaphysique, si métaphysique il y a, se fait avec l’expérience, mais par la pensée elle-même, seule capable de féconder l’expérience ? Donc l’idéalisme est chimérique quand il entreprend de construire une science quelconque sans l’expérience, de même que l’empirisme est impuissant, s’il essaie de faire la science avec l’expérience seule, sans le secours de la pensée. L’expérience est la seule faculté vraiment révélatrice. La pensée sans l’expérience ne peut sortir du domaine des abstractions idéales qui lui est propre, ni faire un pas dans le monde de la réalité, soit physique, soit morale. Ce n’est pas d’elle qu’il faut attendre quoi que ce soit qui ressemble à une révélation des choses. La logique, la dialectique, la métaphysique, à moins de tourner toujours dans le même cercle d’abstractions pures, ne peuvent avancer dans la recherche de la vérité que sur les pas de l’expérience ; elles n’ont point à leur service, comme on a bien voulu le croire, une faculté toute spéculative qu’on nommerait raison ou intelligence, et dont la fonction propre serait d’initier l’esprit à un ordre de connaissances supérieures. Toutes les prétendues anticipations logiques de l’idéalisme, telles que les idées de Platon, les idées de Plotin, les idées de Malebranche, les idées de Schelling, les idées de Hegel, ou ne nous apprennent rien sur les lois et les principes des choses, ou ne nous en apprennent que ce que l’expérience nous avait déjà fait connaître. En définitive, il n’y a pas deux sources de connaissances correspondant à deux ordres de vérités distincts ; il n’y a pas deux mondes réels séparés, l’un dans le temps et dans l’espace, qui serait le monde de l’empirisme, l’autre, non moins réel, hors du temps let de l’espace, qui serait le monde de l’idéalisme. Il y a le monde des réalités, qu’atteint l’expérience, et le monde des idées, que crée la pensée. L’antithèse de l’idéalisme et de l’empirisme se trouve ainsi résolue dans la distinction de l’expérience et de l’entendement concourant ensemble, chacun pour sa part, à l’œuvre commune de la connaissance. Les deux systèmes n’ont plus de raison d’être en tant que systèmes.

Cette conclusion n’est-elle pas trop sévère pour une doctrine qui a eu des maîtres s’appelant Platon, Plotin, Malebranche, Schelling, Hegel, et qui a fait si grande figure dans l’histoire ? Mettons à part l’idéalisme allemand, lequel n’a guère que le nom de commun avec l’idéalisme platonicien, et prétend si peu se passer de l’expérience qu’il n’est, à y bien regarder, qu’une hardie synthèse construite