Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/967

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III

Une doctrine qui redoute la science, une science qui ne croit guère à la doctrine, voilà en résumé la situation des esprits dans toute cette aristocratie sociale que se partagent les sciences et les lettres, particulièrement en France. Comment sortir de cette crise ? Évidemment par une conciliation, car la doctrine n’est pas plus à supprimer que la science ; mais comment cette conciliation sera-t-elle possible ? Ici il ne peut être question de rien qui ressemble à ces alliances contre nature, à ces compromis entre la philosophie et la religion, qui au fond n’honorent et ne servent ni la religion ni la philosophie. Pour que l’accord se fasse entre le spiritualisme et la science, il faut que le spiritualisme devienne scientifique, et que la science devienne spiritualiste. Là est la difficulté. Est-il possible que le spiritualisme soit jamais autre chose qu’une doctrine étrangère aux méthodes positives ? Est-il possible que la science, qui ne compte que sur l’observation et l’expérience, accepte jamais quoi que ce soit qui ressemble à une spéculation à priori ? On peut bien convenir d’avance que, si cet accord est possible dans l’avenir, il ne le sera que par la liberté, c’est-à-dire par l’essor naturel de la philosophie et de la science, qui, se développant chacune dans sa sphère et selon son génie propre, pourront se rencontrer dans une même conclusion sur le fond et le principe des choses. C’est là en tout cas la première condition de l’entente. Que la philosophie et la science laissent là les passions, les préjugés, les alliances de la lutte actuelle, et qu’elles rentrent, la philosophie surtout, dans la haute impartialité qui convient aux deux grandes puissances de la pensée. Qu’elles se considèrent d’abord et se traitent comme deux sœurs d’une même mère, la libre pensée, parfaitement décidées à ne faire intervenir dans leurs débats aucune puissance étrangère. Que la philosophie enfin laisse la religion à sa place et à son rôle, que la science ne compte plus sur la faveur de cet empirisme vulgaire qui ne comprend guère mieux la vraie science que la philosophie.

Cela convenu, le premier soin de la philosophie doit être de se reconnaître. En reprenant sa liberté, elle se retrouve en face des grands systèmes de l’histoire convertis par l’éclectisme en lois nécessaires et universelles de la pensée. Si la philosophie devait s’en tenir là, il faudrait désespérer de l’harmonie de la pensée humaine et de l’avenir d’une spéculation vouée à une éternelle contradiction. Nous sommes plus dogmatiques que l’éclectisme, car nous croyons à l’unité future, plus ou moins prochaine, de la pensée philosophique ; nous y croyons au nom de l’analyse et de la critique. Il n’est pas difficile à l’une et à l’autre de démontrer que deux