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Il ne faut rien exagérer. Si puissante que fût la personnalité de Victor Cousin, elle n’alla point jusqu’à absorber toute la pensée philosophique de l’école. Sans parler des libres penseurs, tout à fait étrangers ou simplement dissidens, qui ont été ou sont spiritualistes à leur façon, et que le maître n’eût point comptés parmi les siens, il eut jusqu’au dernier moment nombre de compagnons et d’élèves qui, tout en relevant de son école, ont conservé une indépendance d’esprit véritable sous les formes du respect et de l’amitié. Les lecteurs de la Revue en ont eu souvent des preuves aussi intéressantes que décisives. Il n’en est pas moins vrai que le spiritualisme de l’école, ayant contracté sous la pression des circonstances et sous l’autorité de son chef quelque chose de l’intolérance de ses nouveaux alliés, n’encourageait pas cette liberté d’allures incompatible avec une telle discipline. Les exigences de la raison, les nécessités de la logique, les révélations de la science positive, étaient prises en faible considération devant l’unité nécessaire à une doctrine de salut public. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore la question de doctrine domine toutes les autres dans le monde philosophique où règne le spiritualisme de l’école.

En face de ce spiritualisme, qui, par l’éloquence de la parole, le concours de la théologie chrétienne, la propagation de l’enseignement classique, est devenu une sorte d’institution sociale, se posent la libre pensée et la science pure, représentées par un certain nombre d’écoles bien connues, qui pour des raisons diverses ne veulent pas entendre parler d’une telle philosophie. L’école matérialiste n’en veut point, parce qu’elle arrive à des conclusions contraires ; l’école positiviste n’en veut point, parce qu’elle se renferme dans le domaine de l’expérience ; l’école critique n’en veut pas davantage, parce qu’elle repousse toute espèce de dogmatisme, spiritualiste ou matérialiste. Il est vrai que toutes ces écoles, si considérables qu’elles soient par le nombre de leurs adeptes, ne forment qu’une minime fraction du monde savant ; mais que pense celui-ci sur les questions métaphysiques ? La plupart y sont très indifférens. Beaucoup ont leur opinion faite d’instinct plutôt que de théorie et pensent tout bas ce que les matérialistes et les positivistes disent tout haut. Quelques-uns s’en tiennent là-dessus à la foi de leurs pères et croient au spiritualisme absolument comme ils croient aux mystères et aux miracles, sans avoir la moindre envie d’y regarder. C’est ce qui fait que, dans tout le monde savant, c’est à peine si l’on peut compter un petit nombre de croyans qui prennent au sérieux les démonstrations de la philosophie spiritualiste. Aussi ne pouvons-nous nous empêcher de conserver des doutes sur l’état réel des esprits, quand nous entendons affirmer que le spiritualisme gagne dans les régions de la science positive. Il est exact de dire