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isolement) n’offrirait pas un exemple aussi parfait. Ce spiritualisme, qui dans le principe se trouvait confondu avec l’idéalisme, l’un des quatre systèmes nommés, en fut tellement distingué qu’il finit par en être séparé tout à fait, si bien que celui-ci devint plus suspect même que la philosophie de la sensation, pour peu qu’il parût tourner soit au panthéisme, soit à l’idéalisme critique. Ni Locke ni même Condillac n’inspirèrent autant de défiance avec leur doctrine, bien plus radicalement contraire au fond au spiritualisme, mais plus réservée sur les hautes questions métaphysiques, que certaines doctrines idéalistes d’un caractère plus élevé. Voilà donc la philosophie française, sauf certaines écoles de savans dont nous aurons à parler tout à l’heure, qui s’est fixée dans la doctrine spiritualiste, tout en poursuivant ses études historiques, et par parenthèse elle en est tellement possédée qu’elle n’apporte plus ni dans son analyse ni dans sa critique des systèmes anciens ou modernes une entière liberté d’esprit. Le spiritualisme est ; devenu son idée fixe ; son criterium unique d’examen, le centre où elle se place pour tout voir et tout juger. Le sentiment spiritualiste est si pressant alors que la philosophie ne prend pas le temps de se faire une doctrine ; elle la reçoit toute faite ou à peu près des mains de Platon, de Descartes, de Leibniz, sans même essayer de la renouveler et de la mettre ainsi en état de répondre aux exigences de la science moderne. Tandis que la science pousse toujours la pensée en avant par ses découvertes, ses théories. ses hypothèses, se confiant en sa force, et ne cherchant que la vérité en toute question, le spiritualisme retient sans cesse la pensée au nom de la morale et de la société, appelant à son secours tous les auxiliaires possibles contre, les hardiesses d’une philosophie malsaine qu’il voit partout déborder, dans la science comme dans la société. Sous l’énergique direction et l’éloquente prédication de Victor Cousin, le spiritualisme cessa d’être une thèse philosophique comme les autres grands systèmes, il cessa même d’être une doctrine, la plus vraie et la plus vitale de toutes ; il devint une cause. L’école spiritualiste prit les allures d’un parti ; elle oublia trop que le spiritualisme n’est une vérité philosophique qu’à la condition d’être démontré par la science et défendu par la seule raison ; Elle chercha des alliés dans le camp de la théologie, et ne craignit pas de faire campagne avec elle contre l’ennemi commun ; elle alla jusqu’à interdire à la libre pensée la critique même la plus sérieuse du dogme et de l’histoire d’une religion avec laquelle elle croyait se rencontrer dans un intérêt sacré et capital. Servir le spiritualisme avant tout, le servir au prix même de sa liberté d’examen en ce qui touchait les questions religieuses, telle fut la devise de Victor Cousin, surtout dans les derniers temps de sa carrière philosophique.