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suranné, et le spiritualisme semblait devoir être la philosophie du présent et de l’avenir. On était las d’entendre répéter, développer, commenter sous toutes les formes une doctrine qui, par son ingénieux système de transformations, simplifiait la nature humaine au point de réduire à la pure sensation la pensée, la volonté, l’amour, le sentiment, tout ce qui élève l’homme au-dessus de la bête. On se précipitait dans la doctrine nouvelle qui promettait de relever l’homme, de lui rendre sa sainte croyance aux plus hautes vérités de l’ordre moral, sans lui demander la moindre concession aux préjugés du passé. Car il est bon de faire remarquer que ce spiritualisme avait une confiance, naïve si l’on veut, mais admirable dans la science, avec laquelle il entendait rester en relation étroite et suivie, qu’il ne comptait pour son triomphe que sur l’observation, l’analyse, la démonstration logique, en un mot, sur l’emploi des méthodes scientifiques les plus sévères. Ce n’est pas lui qui aurait songé à invoquer tantôt la tradition, tantôt le sens commun, tantôt un intérêt moral ou social, à défaut de faits ou d’argumens. Il suffit de lire Maine de Biran, Jouffroy, Victor Cousin lui-même, dans ses jours de fière indépendance, pour se convaincre que le spiritualisme nouveau voulait s’ouvrir une voie toute scientifique sans se soucier beaucoup de la tradition, même de la tradition ayant pour maîtres Platon, Descartes et Leibniz. Tout entière à la discussion logique avec Royer-Collard ; ou à l’analyse psychologique avec Maine de Biran et Jouffroy, cette philosophie n’avait guère plus souci du passé que la philosophie du siècle précédent s même confiance dans la raison, même ardeur d’initiative personnelle, même amour de la vérité et de la science pour elles-mêmes, sans préoccupation étrangère d’aucune espèce. On écrivait Comment les dogmes finissent avec une parfaite sécurité. On eût écrit (plusieurs l’ont fait) avec une sécurité égale comment les dogmes commencent, car on ne doutait pas plus de la puissance de la raison pour rétablir la vérité spiritualiste dans la conscience de l’homme que de l’impuissance des religions à l’y maintenir.

Que serait devenu ce mouvement philosophique, s’il eût suivi son cours régulier et naturel ? eût-il engendré une grande et forte doctrine, un spiritualisme capable de conquérir le monde de la libre pensée et surtout le monde de la science ? En suivant en droite ligne la voie ouverte par un Maine de Biran et éclairée par un Jouffroy, n’y avait-il pas lieu d’espérer une telle révélation psychologique que tous les esprits sérieux eussent été définitivement conquis et attachés à la doctrine si suspecte aujourd’hui aux esprits positifs ? Il serait difficile de le conjecturer. Nous n’hésitons pas à penser qu’aucune direction ne pouvait valoir pour la nouvelle philosophie celle qu’elle prit tout à coup sous la pression de certaines