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décidé, c’est pour les plus grands adversaires du spiritualisme qu’il réserve les grâces et les interprétations bienveillantes de sa critique. C’est ainsi qu’il fait un spiritualiste un peu contre nature d’Auguste Comte, dont il expose et explique d’ailleurs la doctrine avec une haute impartialité. C’est ainsi qu’il montre comment des savans qui n’ont nul goût pour la métaphysique, comme M. Claude Bernard, ou qui affichent hautement la prétention de ramener les phénomènes de la vie morale aux principes de la physiologie, comme M. Vulpian, travaillent néanmoins, avec ou sans la conscience de leur œuvre, pour le compte du spiritualisme en mettant en lumière un certain nombre de faits décisifs pour la doctrine qui leur est le moins sympathique. Après les savans, les philosophes à qui M. Ravaisson témoigne le plus d’intérêt sont les philosophes étrangers à l’école éclectique : c’est Pierre Leroux, Jean Reynaud, Lamennais, Charles Renouvier, ces deux derniers surtout, auxquels il a consacré une analyse vraiment en rapport avec l’étendue de leurs ouvrages. Les philosophes de l’école théologique, comme le père Gratry, sont cités avec un goût assez marqué pour leur manière de philosopher. Mais des philosophes éclectiques qui se rattachent plus ou moins à Victor Cousin, il n’en est peut-être pas un que M. Ravaisson ait traité selon l’importance de sa doctrine ou l’étendue de ses travaux. Ni Jouffroy, ni Damiron, ni Garnier, ni Saisset, parmi les morts, ni MM. de Rémusat, Barthélémy Saint-Hilaire, Franck, Jules Simon, Lévêque, Bouillet, Lemoine, Janet, Caro, n’ont dans cette revue la place qu’ils méritent. M. Ravaisson, qui cite des ouvrages à peu près inconnus de penseurs anonymes, fait à peine mention d’une publication de l’importance du Dictionnaire des sciences philosophiques, œuvre de tant de collaborateurs savans et distingués réunis sous l’intelligente et énergique direction de M. Franck. L’auteur de la Métaphysique et la Science n’a point à se plaindre de la place qui lui est faite dans ce rapport. Peut-être pourrait-il trouver qu’en insistant avec raison sur le point capital de sa doctrine, la distinction de l’être parfait et de l’être infini, l’éminent critique n’a point assez fait voir sur quelle analyse reposait cette distinction. En tout cas, l’auteur et tous ceux qui en France prennent au sérieux la pensée allemande sauront gré à M. Ravaisson d’avoir fait justice de cette étrange méprise d’un écrivain de l’école théologique qui fait de Hegel et de ses admirateurs français ou allemands les Gorgias et les Protagoras de la sophistique contemporaine. Enfin, si un esprit comme M. Ravaisson n’a de préférence que pour la vérité de la doctrine et la valeur de la pensée, on peut parfois lui demander pourquoi un philosophe de la force de M. Cournot tient une place si modeste dans un compte-rendu où l’auteur anonyme des livres connus sous le nom de Strada occupe