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lectures académiques où l’art avait une plus grande part que la philosophie pure.

Quelque jugement que la critique porte sur ce rapport[1], elle ne pourra dire que M. Ravaisson a oublié la métaphysique dans cette longue période d’apparente oisiveté. C’est bien la même pensée, profondément fixe, qui fut l’idée-mère de son premier travail, et qui se retrouve ici dans toute la force d’un esprit méditatif, dans toute la maturité d’une science consommée. Ce compte-rendu des œuvres de la philosophie française au XIXe siècle est un véritable livre digne d’occuper une place considérable dans l’histoire de la pensée contemporaine par la hauteur de la critique et la fermeté magistrale de la conclusion. On ne peut reprocher à l’auteur de n’avoir point réalisé le programme d’une histoire vivante de la pensée contemporaine, puisqu’il ne s’est proposé qu’un compte-rendu des travaux plus ou moins importans qui ont rempli cette première période de notre siècle ; mais la lecture de ce rapport laisse apercevoir des lacunes qui, peut-être inévitables dans le cadre que l’auteur s’est proposé, n’en sont pas moins de nature à frapper l’attention de tous ceux qui sont au courant de notre histoire philosophique. Ainsi, à voir comment M. Ravaisson parle de Victor Cousin, de ses travaux, de ses idées et de son école, qui se douterait du rôle extraordinaire, unique, joué par le chef de l’éclectisme dans l’enfantement et le développement de la philosophie contemporaine ? M. Ravaisson peut répondre qu’il n’a dû tenir compte que du contingent d’idées apporté par chaque penseur dans la masse des théories plus ou moins originales et personnelles qui font la substance de la philosophie française au XIXe siècle, et que ce n’est pas sa faute, s’il n’a pas trouvé chez le maître une doctrine plus riche, plus forte, plus systématique ; Toujours est-il que Victor Cousin n’est point apprécié a sa juste valeur dans ce compte-rendu, et que, si M. Ravaisson eût fait un tableau vivant au lieu d’une savante analyse, il eût autrement parlé d’un homme qui a été l’âme du plus grand mouvement philosophique, du plus grand travail historique de notre temps et de notre pays.

Même en s’en tenant au programme adopté par M. Ravaisson, on pourrait y trouver des lacunes et des défauts de proportion. Sans aller jusqu’à analyser les ouvrages dont il a parlé, il aurait pu peut-être en donner un résumé plus ; substantiel, plus complet, mieux proportionné à l’importance de l’entreprise philosophique dont ils contiennent le développement. L’auteur, qui se montre toujours aimable et sympathique pour les savans, semblé un peu froid et sec pour les philosophes proprement dits. Spiritualiste

  1. Voyez dans la Revue des Cours publics du 16 mai un article aussi bien pensé que bien écrit de M. Beaussire sur le rapport de M. Ravaisson.