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LA
SITUATION PHILOSOPHIQUE
EN FRANCE

Rapport de M. Félix Ravaisson sur la Philosophie en France au dix-neuvième siècle, 1868.

M. Ravaisson n’est pas un de ces écrivains qui fatiguent le public de leur incessante activité. Après avoir entrepris sur Aristote, presque au sortir du collège, un travail de premier ordre qui serait un grand livre, s’il était achevé, il est rentré dans un repos que ne semblaient comporter ni l’âge de l’auteur ni la nature d’un esprit aussi curieux des choses de la pensée. Était-ce le recueillement d’un penseur qui médite et ne produit que quand il a trouvé satisfaction dans la pleine possession de la vérité ? était-ce simplement la distraction d’un esprit épuisé par un grand effort de précoce maturité ? était-ce plutôt l’indifférence philosophique d’une intelligence pénétrante qui a compris de bonne heure que le fond des choses est un abîme insondable ? On pouvait tout croire d’un silence aussi obstiné. En voyant M. Ravaisson si désintéressé, au moins en apparence, des querelles des écoles, si heureux de vivre dans le commerce de ces arts innocens qui charment plus le goût et l’imagination qu’ils n’occupent la pensée et n’agitent l’âme, il était naturel de craindre que cette nature d’élite, après un moment de haute et profonde intuition métaphysique, ne fût retournée à ses plaisirs d’artiste, justifiant en quelque façon le mot prêté à Victor Cousin sur les « convictions esthétiques » très arrêtées de son ancien secrétaire. Le public en était là de ses conjectures, quand la nécessité de répondre à l’appel d’un ministre qui n’a jamais connu la méditation oisive vint mettre un terme à ce silence de vingt-cinq ans, à peine interrompu par quelques rapports officiels et quelques