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contradictions qui déparent les beaux mémoires de Sainte-Hélène. Quel que fût son mépris naturel de la vérité, quelle que fût sa confiance dans le dévouement, plus touchant, il est vrai, qu’éclairé, des honorables serviteurs qui le suivirent dans son exil, certes, pour peu qu’il les respectât, il a dû en coûter beaucoup à l’illustre prisonnier, qui sur d’autres sujets avait dicté à ses compagnons de captivité des pages d’histoire si nobles et si parfaitement véridiques, de les induire, à propos de ses rapports avec l’église romaine, dans des erreurs si palpables et si évidemment volontaires. Jamais aucun d’eux n’avait un seul instant songé à demander au grand homme qui faisait l’objet de leur culte enthousiaste de se disculper de quoi que ce soit au monde. Nous savons par les écrits de la plupart d’entre eux qu’ils admiraient particulièrement la façon dont il avait dirigé pendant son règne les affaires religieuses de son empire. Cependant c’est le ton de l’apologie, presque celui de la justification et de l’excuse qui règne dans les six notes dictées à Sainte-Hélène à propos de l’ouvrage de l’abbé de Pradt, — excuses vagues, justifications pleines d’ambages, apologies déclamatoires et creuses qui font un fâcheux contraste avec d’autres chefs-d’œuvre de narration simple et ferme que nous devons à ce glorieux émule de César. Les reproches que les hommes de son entourage étaient hors d’état de hasarder, il entendait déjà la postérité les lui adresser tout bas dans le solennel silence que la solitude avait fait autour de lui. Par malheur, il a voulu agir avec elle comme nous l’avons vu agir avec les générations de son temps. Il a cherché à la tromper. Après avoir lu les lettres que nous venons de citer dans cette étude, comment admettre cette assertion de Napoléon, « qu’il n’avait eu que faire de demander la réforme des évêchés trop nombreux en Italie, parce que le concordat italien y avait pourvu[1], » et comment lui concéder « que la discussion avec le saint-siège soit restée purement temporelle jusqu’en 1811, et qu’elle ne devint spirituelle qu’à propos de la nomination des vicaires apostoliques dans les diocèses vacans en France[2] ? »

Une autre affirmation non moins surprenante se lit également dans les mémoires de Napoléon. « Le fait est qu’il n’y a jamais eu, dit-il, plus de cinquante-trois prêtres retenus par suite des discussions avec Rome ; ils l’ont été légitimement[3]. » Sur ce point encore nous chargerons, selon notre constante habitude, Napoléon de se réfuter lui-même, et toujours par ses propres lettres, dont la copie authentique est sous nos yeux. Il est vrai que ces lettres n’ont pas été insérées à leur date dans la correspondance officielle

  1. Deuxième note, — Mémoires de Napoléon, t. IV, p. 197, édition de 1830.
  2. Troisième note. — Mémoires de Napoléon, t IV, p. 209, édition de 1830.
  3. Sixième note. — Mémoires de Napoléon, t. IV, p. 242.