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comme chef spirituel de l’église, comme successeur de saint Pierre, comme vicaire de Jésus-Christ, en tout ce qui concerne la foi et la doctrine ; mais il ne doit pas s’immiscer dans mon temporel. Ces deux puissances sont indépendantes. Je veux la religion de saint Louis, qui a eu aussi des discussions avec le pape. Je veux la religion de saint Bernard, de Bossuet, de l’église gallicane, je la protégerai de toutes mes forces ; mais je ne veux pas la religion ni les opinions des Grégoire VII, des Boniface, des Jules, qui ont voulu assujettir les royaumes et les rois à leur domination, qui ont excommunié les empereurs pour bouleverser la tranquillité des peuples. Quoi qu’on dise, je crois qu’ils brûlent aux enfers pour toutes les discordes qu’ils ont excitées par leurs prétentions extravagantes. Les papes ont fait trop de sottises pour les croire infaillibles. Qui est-ce qui a fait le schisme de l’Angleterre, de la moitié de l’Allemagne ? N’est-ce pas les prétentions des papes, les opinions de Rome ? Je ne souffrirai pas ces prétentions, le siècle où nous sommes ne les souffrira plus… Je ne suis pas de cette religion de Grégoire VII. qui n’est pas celle de Jésus-Christ. Je serais plutôt protestant… Le pape est un bon homme, un homme doux, mais ignorant. Je l’ai connu évêque d’Imola, un homme saint, un anachorète, doux comme un agneau. Ce n’est pas lui qui agit, mais il suit de mauvais conseils. Monsieur l’archevêque, messieurs les vicaires-généraux, surveillez bien vos ecclésiastiques, inculquez bien ces principes à vos élèves dans les séminaires, et vous, messieurs, écrivez-les profondément dans votre mémoire et faites-en part à vos correspondans. Ils ne pourront se plaindre de la persécution que s’ils s’obstinent. Ils ne seront pas des martyrs, car c’est la cause qui fait les martyrs et non la mort. Si je suis mon bon droit et que le pape en suive un mauvais, c’est lui qui en est responsable. C’est un homme, il peut manquer… Quiconque connaît l’histoire ecclésiastique saura en quoi consistent nos différends avec le pape. Le pape n’est pas le grand-lama, le gouvernement de l’église n’est pas arbitraire ; elle a des règles et des canons que le pape doit suivre. Si le pape veut être le grand-lama, dans ce cas je ne suis pas de sa religion[1]. »


Si convaincu que fût l’empereur de la bonté de son droit et de l’excellence de ses raisons, il ne croyait pas inutile de les appuyer en Italie par le déploiement d’une force purement matérielle. Le théologien n’avait pas remplacé à ce point le capitaine qu’il eût complètement oublié ses anciennes et naturelles pratiques. C’est pourquoi, en même temps qu’il parle à son ministre des cultes des affaires religieuses qui se passent de l’autre côté des Alpes, il a grand soin d’en entretenir aussi son ministre de la guerre.


« Je remarque qu’il y a peu de troupes dans la 30e division militaire,

  1. Discours de l’empereur au clergé du département de la Dyle, 10 mai 1810. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XX, p. 354.