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pas donner destitution, ce qui montrerait encore dans l’obstination du pape la cause d’un mal qui serait irréparable pour l’église. Les dispositions à adopter pour Rome, si elles sont immédiatement suivies du séquestre des biens et des palais des évêques qui auront refusé le serment, et si toute cette affaire est traitée d’une manière sérieuse, ne peuvent manquer d’avoir une influence très sensible[1]. »


Qui ne saisit au premier coup d’œil la perfide habileté de cette combinaison ? L’empereur faisait semblant d’être profondément irrité du refus de serment des évêques qui avaient leurs sièges épiscopaux dans les anciens états romains. En réalité il s’en réjouissait, leur refus de serment lui donnant le prétexte qu’il cherchait pour confisquer leurs palais et leurs biens. À ce point de vue, il en est presque aux regrets de ce que treize évêques se soient soumis à cette formalité. Cinq lui auraient suffi. C’est le nombre d’évêchés qu’il ne veut point dépasser pour les états romains, nombre auquel il se réserve de les ramener plus tard. Pour le moment, le principal est de mettre à la charge morale du saint-père la viduité de tant de diocèses et le dénûment dans lequel sont forcément tombés tant de pauvres ecclésiastiques, car il ne s’agit pas seulement, dans le décret dont il dicta plus tard les termes mêmes à son ministre des cultes, de saisir le traitement et les biens des évêques : « vous aurez soin, lui écrit-il le 16 juin, de mettre un article qui dise que les biens des couvens, chapitres et abbayes supprimés sont réunis aux domaines, que l’enregistrement en prendra possession sans délai, et en touchera les revenus à partir du 1er juillet 1811[2]. ».

Tels étaient les actes officiels du souverain qui songeait à s’emparer un jour de la haute direction de toutes les consciences catholiques, et qui, parmi les attributs innombrables de sa vaste puissance, revendiquait alors avec une insistance particulière le droit de se dire, suivant une vieille expression consacrée par l’église, l’évêque extérieur de tous les diocèses de son empire. Cet évêque d’un nouveau genre était, comme on vient de le voir, beaucoup plus préoccupé de grossir les revenus de son trésor que de pourvoir aux besoins des âmes. Son langage public n’était pas à cette époque moins singulier, et ne formait pas un moins étrange contraste avec la mission qu’il prétendait s’attribuer. Habitué à donner librement cours devant tout le monde aux idées qui fermentaient dans sa tête, et sachant qu’il n’en serait jamais rapporté rien par les journaux que de son consentement, l’empereur, pendant le

  1. Note pour le ministre des cultes, Saint-Cloud, 13 juin 1810. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XX, p. 409.
  2. Lettre de l’empereur à M. le.comte Bigot de Préameneu, 16 juin 1810. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XX, p. 416.