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le premier homme de son temps, il n’y avait aucune trace ; mais il ne faisait plus de ces dons merveilleux le même usage que par le passé. Soit négligence, soit ennui, soit infatuation toujours croissante de lui-même, soit par tous ces motifs réunis, il mettait dans ses façons d’agir une sorte de laisser-aller et de fantaisie capricieuse. On vit se produire de 1810 à 1812 dans la conduite politique de l’empereur une espèce de transformation assez pareille à celle que ses généraux remarquèrent plus tard dans ses combinaisons militaires durant les campagnes d’Allemagne et de Russie. Ses manœuvres de cette époque, certes toujours habiles, étaient devenues démesurément gigantesques, et par cela même beaucoup moins étudiées et moins parfaites qu’autrefois dans les détails. La conception de ses plans de campagne était encore très heureuse, mais l’exécution laissait beaucoup à désirer par suite de l’exagération du but qu’il se proposait d’atteindre et de l’immensité des opérations qu’il s’était données à conduire. On sentait qu’à manier à la fois tant et de si grandes masses l’ancien vainqueur de Marengo, d’Austerlitz et de Wagram avait fini par se gâter un peu la main. Chose bizarre et vraiment digne de remarque, ce fut la conclusion du mariage autrichien et sa confiance, d’ailleurs mal fondée, dans l’allié qu’il croyait s’être procuré de l’autre côté du Rhin, qui porta l’empereur à donner à ses opérations contre la Russie une extension si extraordinaire, et ce fut cette même confiance dans la seule cour de l’Europe ayant encore pied en Italie et de tout temps protectrice du saint-siège qui décida le gendre du très catholique souverain de l’Autriche à ne plus garder aucun ménagement envers le clergé des états pontificaux. Etrange complication des affaires humaines ! le lien de famille récemment noué entre l’ancien empereur d’Allemagne et le nouvel empereur d’Occident allait justement servir de signal à la ruine totale et au complet bouleversement de l’état de choses que notre clergé français ne cesse point de se complaire à nommer encore la grande œuvre de Charlemagne.

Aussi longtemps en effet que son mariage avec Marie-Louise n’avait pas été chose faite et conclue, l’empereur, quoique décidé à mettre la main dans les affaires spirituelles des nouveaux départemens de Rome et du Trasimène, avait gardé une certaine réserve ; mais quelques jours après son mariage il s’en affranchit absolument. A peine eut-il acquis la certitude que la complaisante Autriche ne lui ferait pas obstacle, et serait même, comme nous le raconterons bientôt, disposée à entrer dans son.jeu, que de Compiègne, où il était allé passer sa lune de miel avec Marie-Louise, Napoléon écrivit à son ministre des cultes afin d’arrêter des