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uniquement comme un souverain légitime injustement dépossédé par de violens usurpateurs de sa royauté temporelle ; il représentait le vicaire du Christ sur la terre, le chef spirituel de leur foi. La déchéance de Pie VII, la prise de possession de ses états, sa captivité à Savone, ne constituaient pas seulement une série d’usurpations criminelles suivant les lois humaines ; c’était la violation des commandemens divins, c’étaient autant d’actes profondément sacrilèges. Ceux qui les avaient commis s’étaient placés hors de la communion chrétienne. L’interdit avait été lancé contre eux. Nulle obéissance ne leur était due ; il n’était point licite d’entretenir avec eux la moindre relation.

Afficher en public de pareils sentimens n’aurait été toutefois conforme ni à la modération ecclésiastique ni à la prudence italienne. Les cardinaux et les prélats romains demeurés les plus dévoués à la cause du saint-père étaient d’ailleurs bien éloignés de vouloir faire inutilement parade de leur compromettante fidélité. Satisfaits d’être laissés à l’écart, la plupart n’auraient pas demandé mieux que de vivre obscurément à Rome en gardant le plus profond silence sur leur sécrète opposition. Cette liberté, à laquelle ils auraient attaché le plus grand prix, leur fut, à leur grand regret, bientôt ravie par suite d’instructions envoyées de Paris au général Miollis. Avec cette merveilleuse promptitude d’esprit qui lui faisait parfaitement deviner à distance les choses qui se passaient loin de ses yeux et se rendre un compte précis des obstacles qui pouvaient nuire au succès de ses desseins, l’empereur, à Schœnbrunn même, avait pressenti ce qu’il y aurait de dangereux pour lui à laisser, après l’enlèvement du pape, les membres du sacré-collège assister, oisifs et mécontens, à l’organisation du nouvel ordre de choses qu’il se proposait d’établir à Rome. Il avait donc à la fois résolu de faire effort pour les attacher à sa personne en leur attribuant un généreux traitement, et dans tous les cas de les soustraire de gré ou de force à ce milieu romain, sur lequel il était à craindre qu’ils n’exerçassent à son détriment quelque fâcheuse influence. Ses résolutions ne furent pas d’ailleurs arrêtées à la légère ; elles avaient toutes été discutées dans une correspondance fort détaillée que Napoléon entretint d’Allemagne avec son ministre des cultes. Vers le milieu de septembre 1809, peu de temps après l’arrivée de Pie VII à Savone, M. Bigot de Préameneu avait, sur son invitation, fait parvenir à l’empereur une note rédigée avec son exactitude accoutumée, par laquelle il lui donnait les informations les plus précises sur le personnel et sur la résidence actuelle des cardinaux italiens. Il les divisait en deux séries distinctes, l’une des cardinaux nés dans l’empire et par conséquent sujets de sa majesté, l’autre des cardinaux nés hors des frontières actuelles de