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nécessaire que le pape fût un souverain indépendant ? N’est-ce pas vous qui avez pris la peine d’expliquer à votre conseil d’état comment il était indispensable que le saint-père ne fût ni à Paris, ni à Madrid, ni à Vienne, afin que son autorité spirituelle fût également acceptable pour les Français, pour les Autrichiens et pour les Espagnols ? vous encore qui avez soutenu qu’il était trop heureux qu’il résidât dans ses propres états, au milieu de la vieille Rome, loin de la main des empereurs d’Allemagne, loin aussi de celle des souverains de France ou d’Espagne, tenant la balance égale entre les princes catholiques, penchant peut-être un peu vers le plus fort, mais se relevant bientôt, si le plus fort devenait oppresseur ? Ce sont les siècles, ajoutiez-vous, qui ont fait cela, et ils ont bien fait. Pourquoi donc détruire aujourd’hui l’état de choses si heureusement constitué par le travail des siècles, celui-là même que de vos propres mains vous avez rétabli, et de quel droit voulez-vous nous imposer à sa place un régime que de votre bouche vous avez vous-même déclaré insupportable[1] ? »

L’ennui d’avoir à se réfuter par quelque document international et public fut en réalité épargné à l’empereur. Nous n’avons pas appris qu’aucun cabinet étranger ait officiellement réclamé contre le sénatus-consulte qui faisait de Rome la seconde ville de l’empire, qui imposait aux papes l’obligation de s’engager par serment lors de leur exaltation à respecter les quatre propositions de l’église gallicane, qui leur attribuait un traitement fixe de 2 millions comme à de grands fonctionnaires de l’état, et leur assignait des palais dans les villes de l’empire où il leur plairait de résider, particulièrement à Paris et à Rome. Parmi les puissances faisant profession de reconnaître l’autorité spirituelle du saint-siège, les unes étaient, comme Naples et l’Espagne, rivées par toute sorte d’attaches à la politique impériale, les autres, comme l’Autriche et la Bavière, étaient pour quelque temps encore entrées dans les voies d’une obséquieuse déférence. Il ne paraît pas non plus que les cantons catholiques de la Suisse, craignant avec raison de soulever contre eux quelque dangereux orage, aient pour leur compte songé à protester. Le Portugal, allié de l’Angleterre, était eh état de guerre avec l’empire, et par conséquent sans agent diplomatique à Paris. La Russie schismatique, la Prusse et les petites principautés protestantes de l’Allemagne étaient à la fois trop indifférentes aux intérêts catholiques et trop préoccupées de leur propre sécurité pour vouloir se hasarder sans droit bien positif sur un terrain aussi scabreux. Le silence fut donc général de la part de tous les gouvernemens étrangers. Si nous ne nous trompons, il fut de même prudemment gardé

  1. Voyez M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. III, p. 216 et suiv.