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indignation n’avaient d’ailleurs rien de simulé. Le cardinal-légat Caprara, tous les évêques de France, le pape lui-même, avaient mille fois répété à l’empereur que la religion lui devait tout : à force de se l’entendre dire, comment n’aurait-il pas fini par en être sincèrement convaincu ? De plus en plus enivré par ce concert de louanges, il en était peu à peu arrivé à regarder le concordat, même tempéré par les articles organiques, comme un don généreux que dans sa magnanimité il avait gratuitement accordé au saint-siège. Quand il avait invité Pie VII à venir le sacrer à Paris, il n’avait pas réclamé de lui un service ; il lui avait au contraire octroyé une véritable faveur, et le bénéfice avait été tout entier pour le saint-siège, car il avait honoré l’église catholique en l’associant à ses triomphes. Avoir si vite oublié tant de bienfaits, c’était de la part de Pie VII et des membres opposans du sacré-collège le comble de l’ingratitude.

Comment s’étonner si, après avoir sérieusement attribué à son inoffensif adversaire le rôle d’oppresseur et s’être de bonne foi posé lui-même en victime, Napoléon, irrévocablement gâté par la fortune, n’a plus jamais recouvré assez de sagesse pour faire face aux difficultés de toute nature qui, par la seule force des choses, allaient maintenant résulter de la violente déposition du saint-père et de sa longue réclusion à Savone ? Toute la meilleure volonté du génie le plus habile n’eût pas alors suffi à combler le vide immense que laissait forcément dans la chrétienté la subite interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs spirituels qui sont aux yeux des catholiques l’apanage exclusif du successeur de saint Pierre. Le gouvernement de l’église romaine étant devenu depuis des siècles essentiellement monarchique, cette église tombait inévitablement dans le plus effroyable état d’anarchie le jour où les membres épars de ce grand corps ne pouvaient plus communiquer librement avec leur chef, et recourir pour l’expédition régulière de leurs affaires religieuses aux congrégations qui de date immémoriale servent à Rome de juridiction spéciale aux fidèles. Certes, en des temps ordinaires, les diverses communautés catholiques répandues sur la surface du globe n’auraient pas manqué d’élever la voix et de se plaindre hautement. Le nombre, la justice, la vivacité de leurs réclamations auraient causé à l’empereur un premier et inextricable embarras. Théoriquement il est en effet difficile d’imaginer ce qu’il aurait trouvé à répondre aux ministres des puissances étrangères qui, reprenant ses propres doctrines éloquemment développées devant son conseil d’état lors de la signature du concordat, lui auraient dit à leur tour : « N’est-ce pas vous-qui, le premier en France depuis la révolution, avez proclamé, il n’y a pas dix ans encore, qu’il était non-seulement utile, mais