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qu’autrefois, et nous en avons eu la preuve indiscutable l’année dernière pendant la durée de l’exposition universelle. À ce moment, les subsistances ont subi une augmentation qui n’a point disparu avec la circonstance toute spéciale qui l’avait fait naître. Sans atteindre encore des proportions inquiétantes, ce renchérissement successif des objets de consommation indispensables a de quoi faire réfléchir, et l’on peut se demander si les difficultés que le plus grand nombre éprouve aujourd’hui à subvenir aux exigences de la vie matérielle ne chasseront pas de Paris une bonne partie de sa population, devenue incapable de se nourrir d’une façon normale et permanente. Cette population si nombreuse, si intéressante à tant d’égards, qui se plaint, non sans raison, que les conditions d’existence aient été trop brusquement modifiées, est-elle bien raisonnable elle-même ? Ménage-t-elle ses ressources de façon à ne pas se trouver prise au dépourvu, et à pouvoir faire face au mouvement ascensionnel et continu que dès à présent il est facile de prévoir ? On en peut douter. Une comparaison montrera d’une manière péremptoire quel genre de consommation particulière elle recherche, et que trop souvent elle sacrifie ses besoins à ses goûts. En opposant les uns aux autres des chiffres déjà cités, on verra qu’il existe à Paris 1,201 boulangers, 1,574 bouchers, 11,346 cabarets, et qu’il faut ajouter à ces derniers 644 liquoristes et 1,631 cafés et brasseries. Il y a là un indice grave qu’il faut méditer avant de se prononcer sur la légitimité des plaintes.

Je ne crois pas qu’il y ait en France un service mieux organisé, plus attentivement surveillé que celui que l’administration appelle l’approvisionnement de Paris. Paris est difficile, accoutumé à tout trouver sous sa main, et on doit savoir satisfaire à ses exigences et même à ses caprices sans trop le lui faire sentir ; il est imprudent et insouciant, on doit veiller sur sa santé sans qu’il s’en aperçoive ; il faut en un mot, et c’est à quoi l’on vise, l’enfermer dans de sages règlemens qui ne gênent point sa liberté d’action, et lui cacher les lisières avec lesquelles on le conduit dans les voies où il trouvera une quantité suffisante de subsistances de bonne qualité. Des yeux habitués à voir vite et bien sont toujours fixés sur ce point. Longtemps avant qu’elles ne se formulent, on a paré aux difficultés qu’on avait déjà prévues. On peut affirmer que toutes les mesures sont prises d’avance pour que la population ne manque jamais de son pain quotidien. C’est plus qu’un devoir pour les gouvernemens, c’est une question de vie ou de mort. Que deviendrait l’état, si la capitale d’un pays aussi fortement centralisé que la France n’avait pas chaque jour abondamment de quoi manger ?


MAXIME DU CAMP.