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autres et surtout contre des habitudes invétérées. Quels sont les hommes qui pressurent ainsi la misère et lui font suer un intérêt annuel de 1,820 pour 100 ? Il est difficile, sinon impossible de le savoir ; il leur importe trop de cacher leur déplorable industrie, et ceux qui ont recours à de tels prêteurs n’osent pas en parler, car ils risquent de se fermer tout crédit et par conséquent de se trouver en présence d’une situation inextricable. Il y a quelques années, un établissement de crédit considérable a voulu intervenir, arracher ces pauvres diables à l’usure ; cette tentative est restée infructueuse en présence d’une réserve exagérée, mais naturelle de la part de gens qui ignorent tout, sinon que, si on ne leur prête 20 francs, ils ne pourront gagner leur vie. Ces prêteurs à la petite semaine, usuriers de la pire espèce, sont activement recherchés, et malgré leur habileté excessive on réussit parfois à les saisir la main dans le sac. Deux d’entre eux, surveillés depuis longtemps par un inspecteur des halles, ont pu être pris sur le fait et convaincus d’exiger un intérêt de 50 centimes par jour pour 10 francs ; sur le rapport motivé de l’agent de l’autorité, ils ont été traduits en police correctionnelle et condamnés chacun à six mois de prison.

Il est une autre catégorie de marchands ambulans qui, il y a peu d’années encore, parcouraient Paris, qu’ils remplissaient de leurs clameurs, et que maintenant on ne retrouve plus. C’étaient les marchands de friture, qui s’en allaient vendant des pommes de terre, des saucisses, des beignets, qu’ils faisaient frire, tout en continuant à marcher, sur des poêles grésillantes que soutenait leur éventaire muni d’un réchaud. Voulant déblayer la voie publique, que l’accroissement de la population encombre chaque jour davantage malgré les nouveaux débouchés qu’on ouvre, l’autorité a relégué ces cuisiniers primitifs dans de petites boutiques où tant bien que mal ils continuent leur commerce. Le Pont-Neuf était autrefois le rendez-vous de ces fortes commères qui transportaient leur marchandise brûlante au milieu des passans. Au siècle dernier, les cuisines en plein vent abondaient dans Paris. « Voyez, dit Mercier dans, son Nouveau Paris, le long des bâtimens du Louvre, du côté de la Seine, ces frêles échoppes dont les toits sont à jour. C’est là que de laborieux hercules, que beaucoup d’hommes de peine, viennent calmer leur faim pour un prix raisonnable. Des cordons de harengs enfilés qui sèchent au soleil attendent le gril, c’est l’affaire d’un clin d’œil : viandes, boudins, œufs, merluches, tout se trouve mêlé dans le même plat ; la marmite bout devant la boutique entre deux pierres, et est bientôt épuisée. » C’est là une industrie disparue, de même que celle des rôtisseurs dont on apercevait les feux clairs au fond de boutiques sans fenêtres, et qui