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d’Ostende, qui presque toutes arrivent du comté d’Essex, en Angleterre, ont disparu ou à peu près de nos marchés ; on les mange aujourd’hui à Berlin, à Pétersbourg, à Moscou. L’année dernière, Paris a consommé 26,750,775 huîtres, dont la majeure partie venait de Courseulles et de Saint-Waast ; les huîtres d’Ostende n’ont figuré que pour 913,900, et celles de Marennes pour le chiffre insignifiant de 4,250. C’est là, au grand préjudice de la population, un aliment précieux qui, par le prix élevé auquel il est parvenu, tend chaque jour davantage à n’être plus qu’une denrée de luxe ; quand l’huître coûte, comme aujourd’hui, 10 centimes la pièce, elle échappe forcément aux ressources de la plupart des Parisiens.

Pendant que s’effectue la vente des poissons de mer et d’eau douce, les autres pavillons ne sont point déserts. Aux heures matinales, une sorte d’activité fébrile semble agiter les marchands, les acheteurs, les forts, les employés d’administration ; tout le monde court et crie, c’est un tohu-bohu sans nom où cependant chacun se retrouve et s’occupe de sa besogne particulière. Dans le pavillon n° 10, on vend les beurres, les fromages et les œufs, commerce énorme, qui ne chôme jamais, auquel concourt la France entière ; avant que là vente puisse commencer, chaque motte de beurre est pesée, marquée d’un numéro d’ordre et d’un chiffre relatant le poids exact ; puis le nom de l’expéditeur et le poids du colis sont indiqués au facteur mandataire, à l’agent des perceptions municipales et à l’inspecteur du marché. A l’aide d’une sonde, on peut enlever une portion centrale de la marchandise et la goûter, de façon à s’assurer que la qualité indiquée est bien réelle. C’est principalement la Normandie et la Bretagne qui font les envois les plus considérables. Les transactions publiques se sont exercées aux halles en 1867 sur 11,461,414 kilogrammes de beurre qui ont rapporté 30,109,935 fr. 50 cent. Les fromages sont arrivés en quantité bien moins considérable, quoique l’Allemagne commence à nous en expédier ; les 4,317,510 kilogrammes qu’on a vendus ont produit 2,644,127 fr. 94 cent. On fait parfois subir aux beurres une opération analogue à celle que les marchands de vins appellent le soutirage et dont nous avons parlé précédemment. Avec plusieurs espèces de beurres provenant de sources différentes, on obtient par le mélange un seul et même type. Sur de longues tables contenues dans la resserre, les divers échantillons, préalablement amollis par un court séjour dans l’eau tiède, sont pétris avec force et longtemps comme une pâte de pain. C’est ce qu’on nomme la maniotte. Le beurre, ainsi foulé, devient blanchâtre et prend l’aspect crayeux auquel on remédie par l’adjonction d’une teinture mystérieuse que les gens du métier appellent le raucourt, composition dont ils