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la main des lumières enfermées dans une lanterne ; elles se réunissent à l’angle de la rue de Rambuteau, sur le trottoir de la rue Pierre Lescot. On apporte un bureau portatif devant lequel un homme s’installe. On entend faire l’appel des forts ; si l’un d’eux n’est pas arrivé, il est mis à pied pour la journée, c’est-à-dire qu’il est privé de son bénéfice, tout en étant obligé de travailler comme d’habitude. Un coup de cloche résonne en même temps que l’horloge indique cinq heures. C’est la vente du cresson qui va commencer. Tout le monde est à son poste ; voici le facteur, son commis-écrivain, son crieur, voici l’agent de l’inspecteur du marché, voici l’inspecteur des perceptions municipales. Chacun de ces employés écrit l’objet et le prix de la vente ; il y a donc en toutes circonstances trois documens qu’on peut contrôler l’un par l’autre, et qui font foi lorsqu’il y a contestation. Le cresson, qui entre aujourd’hui pour une part considérable dans l’alimentation parisienne, est d’importation récente. Avant 1810, on ne vendait que du cresson de fontaine, dont la production était forcément très restreinte. En 1810, un ancien officier d’administration qui avait fait les campagnes d’Allemagne, M. Cardon, imagina d’établir à Saint-Léonard, dans la vallée de la Nonette, entre Senlis et Chantilly, des cressonnières factices semblables à celles qu’il avait remarquées à Dresde et à Erfurt. Ce cresson, expédié à Paris, se vendit bien et immédiatement. Un facteur aux légumes intelligent, comprenant de quel intérêt une telle nourriture, saine, fortifiante, peu coûteuse, serait pour les pauvres gens de Paris, stimula de toutes ses forces le zèle des producteurs, auxquels il promit des bénéfices qui ne leur manquèrent pas. Les rives de la Noisette, de cette petite rivière que les poètes domestiques de la maison de Condé chantaient autrefois à l’envi, sont devenues des cressonnières fertiles ; Buc, Saint-Gratien, Gonesse, ont suivi l’exemple donné par le département de l’Oise, et aujourd’hui les halles reçoivent le cresson en assez grande quantité pour qu’il s’en soit vendu plus de 12 millions de bottes pendant l’année 1867. On l’expédie d’une façon ingénieuse, dans de grands paniers montés sur traverses ; le cresson, parfaitement bottelé, est disposé le long des parois intérieures, présentant sa feuille de tous côtés ; le panier est donc tapissé et non rempli. Aussi, lorsque la vente commence, les marchandes laissent glisser dans ces larges mannes leur lanterne retenue par une ficelle ; de cette façon elles peuvent examiner le lot tout entier et reconnaître si les 25 ou 50 douzaines de bottes qui le composent sont de bonne ou de médiocre qualité. Dès que la criée en gros est terminée, les paniers sont vidés, et à la même place les marchandes commencent la vente au détail et crient : la verdure ! la verdure !