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LES
MARIAGES DE PROVINCE

L'ALBUM DU REGIMENT.


I.

Une femme de quarante-cinq ans, grande, svelte et belle encore, arpentait la rue Saint-Dizier, à Nancy. Elle allait d’un tel pas que son guide, un garçon de l’hôtel d’Europe, s’essoufflait à la suivre. Le soleil d’août lui tombait droit sur la tête, et elle ne songeait pas même à ouvrir son ombrelle, qu’elle brandissait comme un javelot. C’était évidemment une bourgeoise des champs : le visage bronzé, la robe de soie trop forte et trop lourde pour la saison, le crêpe de Chine bariolé de broderies féeriques, le chapeau très orné, mais en retard d’un an sur la mode, des bijoux étonnés de se voir dehors en plein midi, tout trahissait une de ces honnêtes propriétaires qui ont appris le meilleur français sans oublier le patois natal. — Madame ! madame Humblot ! cria le domestique haletant. Une minute, s’il vous plait, vous passez la porte.

Elle se retourna tout d’une pièce, et cette héroïne qui marchait au pas de charge, devint en un moment plus hésitante et plus timide qu’un premier communiant. — Déjà, dit-elle; mais où donc?

— A la guérite, pardi ! Quand vous voyez un voltigeur debout et un sapeur assis devant la même porte, vous n’avez pas besoin