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patronage, leur sont suspectes[1]. Il s’ensuit que, privées de ceux qui seraient leurs auditeurs naturels, nos facultés des arts sont vraiment suspendues dans le vide.

Du moment que le mal est clairement signalé, il est facile de voir d’où viendra le remède. De ces deux classes d’auditeurs dont je viens de parler, et qui sont, comme je l’ai dit, les élèves naturels de nos facultés, il y en a une, celle des ecclésiastiques, qui nous échappera toujours. C’est donc à l’autre qu’il faut nous attacher. Nous devons attirer par tous les moyens vers les facultés de province les jeunes gens qui se préparent à l’enseignement, surtout ceux dont l’ambition est bornée aux modestes fonctions des collèges communaux ou aux classes inférieures des lycées. Ils n’y viendront pas tout seuls et à leurs frais. Comme ils savent à quelle vie de misère ils sont destinés, ils ne veulent pas faire des sacrifices dont ils ne seraient jamais payés. L’étudiant allemand, qui compte davantage sur la libéralité de l’état et des particuliers, se rend à l’université et suit les cours des maîtres en renom. S’il ne peut pas suffire à toutes ses dépenses, il engage sans crainte l’avenir, dont il est sûr. Il trouve des créanciers patiens. Le maître qui le reçoit chez lui n’hésite pas à se fier à sa promesse loyale, et j’ai entendu dire à un illustre professeur de l’université de Berlin qu’il n’y avait pas d’exemple que cette promesse n’eût pas été tenue. En France, le malheureux professeur de collège communal, qui sait bien qu’il ne pourrait pas faire honneur à sa parole, aime mieux ne pas l’engager. Il s’élève tout seul et comme il peut. Le problème consiste à lui fournir quelques moyens de suivre sans dépenses les cours de l’enseignement supérieur. Déjà M. de Salvandy l’avait essayé. Il avait entrepris de créer à côté de chaque faculté de province une école normale à l’image de celle de Paris. M. Duruy a repris cette idée, et il l’exécute avec des moyens plus simples. Il se contente d’attacher comme maîtres répétiteurs adjoints aux lycées des villes qui possèdent des facultés quelques jeunes gens qui veulent être professeurs et se préparer à la licence et à l’agrégation. La mesure est excellente, et l’on dit qu’elle produit déjà de très bons résultats. Pour qu’elle réussisse tout à fait, il importe de bien choisir ces jeunes gens, d’être sûr qu’ils sont dignes de la faveur qu’on leur fait et capables d’en profiter ; il faut surtout les mettre à l’abri des

  1. Les facultés de théologie n’ont pas pu obtenir du pape l’institution canonique, malgré l’insistance du gouvernement. « D’où il suit, dit M. Jourdain, que leurs adversaires se trouvent autorisés à les dénoncer comme des écoles purement civiles, auxquelles l’église n’a jamais donné le droit d’enseigner en son nom, et qui sont incapables de confier des grades ayant quelque valeur dans l’ordre ecclésiastique. » Aussi tous les efforts qu’a faits l’état pour leur donner quelque vie ont-ils été inutiles.