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absence[1]. On sait combien l’industrie privée a peu d’initiative en France. Les entreprises hasardeuses lui font peur ; or il faut reconnaître que celle qui consiste à créer d’un coup un lycée complet, avec les bâtimens, les livres, les instrumens, les professeurs qu’il comporte, est une des plus chères et des plus difficiles. Elle demande des capitaux considérables, une réunion d’efforts et d’aptitudes qui se rencontrent rarement. Il arrivera donc que dans les petites villes les corporations religieuses ne trouveront pas de concurrence et régneront seules, et que dans les plus importantes elles combattront les établissemens laïques par le bon marché. Comme elles ne paient pas leurs professeurs et qu’elles s’appuient sur le dévouement des classes riches, elles peuvent sans danger perdre de l’argent. Au contraire le collège libre, qui a fait des frais considérables, qui n’a point de réserves et vit de ce qu’il gagne, est bien forcé de maintenir ses prix. Il durera tant que les passions seront animées et que les pères de famille sentiront le besoin de faire quelques sacrifices pour leurs opinions. Vienne un moment de calme et de lassitude dans les querelles, la foule ira naturellement à ce qui coûte le moins cher. L’établissement religieux subsistera seul, et ceux qu’il ne contente pas le subiront quand même. On a dit au sénat qu’après tout ce ne serait pas un grand malheur, que la morale publique y gagnerait, et qu’il y aurait là un moyen sûr de conjurer les révolutions. J’avoue que je n’en suis pas tout à fait convaincu, quand je me souviens que le XVIIIe siècle et la génération de 93 sont sortis des collèges des oratoriens ou des jésuites. En tout cas, s’il est juste que ceux qui préfèrent les corporations religieuses puissent leur confier leurs enfans, il est légitime, pour le même motif, que ceux qui s’en défient puissent les envoyer ailleurs. Voilà pourquoi, voyant bien qu’en présence de ce puissant effort collectif appuyé sur le dévouement et la foi qu’on appelle les ordres monastiques les tentatives individuelles et isolées seraient impuissantes, l’état s’est décidé à fonder et à soutenir des établissemens laïques.

  1. M. Jourdain, dans son rapport si intéressant sur les progrès de l’instruction publique en France, montre que, pour l’instruction primaire comme pour l’enseignement secondaire, les établissemens ecclésiastiques sont devenus de plus en plus nombreux depuis 1850, et qu’ils ont plus profité que les autres de la liberté. Les établissemens laïques ont au contraire diminué. Ce fait est remarquable, surtout pour l’instruction primaire. « Sur 16,736 écoles privées qui existaient en 1850, il y en avait 12,888 qui étaient dirigées par des instituteurs et des institutrices laïques ; on n’en comptait que 3,848 qui eussent été fondées par des associations religieuses. En 1865. la proportion est absolument changée. Sur 16,349 écoles privées qui subsistent, nous ne trouvons plus que 9,847 écoles laïques, ce qui donne comparativement à 1850 une diminution de 3,041 ; mais il existe 6,502 écoles desservies par des communautés religieuses, c’est-à-dire 2,654 de plus qu’il y a dix-sept ans. »