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pour lui et peu dignes de la perfection de Dieu, — ou bien parler philosophiquement de la manifestation de Dieu dans la vie humaine du Christ, comme nous parlons aujourd’hui de sa révélation dans la nature et dans l’histoire. En d’autres termes, cet unitarisme sabellien était ou trop grossier pour durer longtemps, ou trop subtil pour faire de grandes conquêtes. Sous Calliste, successeur de Zéphyrin et unitaire comme lui, nous le voyons perdre du terrain à Rome. En Orient, il a la vie plus tenace ; Sabellius le professe avec éclat de 250 à 260, et cependant il recule aussi devant les progrès de la théorie dithéiste.

Du reste gardons-nous de croire que, si l’unitarisme raffiné a le dessous dans les synodes et perd peu à peu les positions officielles, il disparaisse pour cela de l’intérieur de l’église. Religion de gens instruits, dont l’esprit est formé par la philosophie, l’étude des sciences et la littérature, il s’accommode assez bien d’une vie latente et paisible, et laisse volontiers les grosses croyances au peuple et au clergé. Leurs adversaires reprochaient aux amis de Théodote et d’Artémon de s’occuper trop de mathématiques, de dialectique, de critique, d’Aristote, de Théophraste, et de prendre des libertés excessives avec le texte des livres saints. Cela veut dire qu’ils n’en adoraient pas la lettre et leur appliquaient les mêmes règles d’interprétation qu’aux autres documens historiques. Plus tard on fera des reproches analogues aux ariens. Tout cela continue, encore sous nos yeux. Platon et la spéculation mystique font des trinitaires ; Aristote, le syllogisme et la critique engendrent l’unitarisme. Seulement de nos jours les chances de succès sont inverses. Même dans les premiers temps, la défaite de l’unitarisme fut lente. Au IIIe siècle, il était encore un levain d’une puissance réelle, et réagissait d’une manière sourde ou avouée contre le cléricalisme et le dogmatisme envahissant. Quand le milieu était favorable, il pouvait encore ressaisir sa puissance ecclésiastique, trôner en pleine église avec l’adhésion du peuple chrétien, et un moment l’orthodoxie faillit voir sa croissance brusquement arrêtée par le puissant mouvement unitaire qui se rattache au nom de Paul de Samosate, évêque d’Antioche de 260 à 272.


II.

L’empire romain, bien que très centralisé par le régime impérial, était trop étendu pour qu’il n’y eût pas des capitales régionales ou centres secondaires dont la vie propre ne pouvait être entièrement absorbée. Ce que Lyon était pour les Gaules, Carthage rebâtie pour l’Afrique, Alexandrie pour l’Égypte, Éphèse pour l’Asie-Mineure, Antioche le fut pour cette vaste région syrienne dont