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pape Benoît, Bernard s’indigne qu’on ose même produire contre lui le soupçon d’un tel crime. De nouveau les juges ont recours à la torture. C’est, on le sait, la pratique ordinaire. Tout accusé doit avouer son crime. Lorsque la douleur, savamment augmentée par la diversité des supplices, est devenue telle que l’accusé préfère mourir, il invoque la mort comme une grâce ; mais il ne peut l’obtenir sans se déclarer coupable du crime dont on l’accuse. Telle est la loi. Cependant les bourreaux chargés de torturer Bernard ont en vain recours à tous leurs artifices : les notaires qui les ont assistés doivent, en paraissant de nouveau devant le tribunal, dire que l’accusé n’a voulu faire aucun aveu. Est-il besoin d’ajouter qu’il n’en fera pas cette fois après la torture ?

L’audition des témoins succède aux premiers interrogatoires. Comparaissent les uns après les autres : Bernard Amat, Jean et Arnauld Marsend, Raymond Du Puy, Raymond Bauderie, Bernard Fenassa, Guillaume Fransa, Pierre Probi, Arnauld Garcia et divers autres habitans, conseillers, anciens consuls de Carcassonne et d’Albi, pour la plupart autrefois associés à toutes les entreprises de Bernard, maintenant prêts à tout dire, à tout faire pour mériter l’oubli de leurs erreurs passées. S’ils venaient simplement, par d’humbles prières, par des actes de honteuse pénitence, en se prosternant aussi bas qu’un inquisiteur peut l’exiger, solliciter le droit d’achever en paix leur triste vie ! Mais il ne leur suffit pas de s’excuser, d’une seule voix ils accusent Bernard.

Le samedi 8 décembre, les juges rendirent leur sentence. Des trois chefs d’accusation, un fut écarté. Si précis que fussent les termes du réquisitoire apostolique, les juges ne crurent pas pouvoir condamner Bernard comme auteur ou comme complice de l’empoisonnement supposé de Benoît XI ; mais ils le condamnèrent comme ennemi de l’inquisition, comme traître envers le roi de France et par surcroît, comme nécromancien, à la prison perpétuelle. Ayant été, dit la sentence, dépouillé de la dignité sacerdotale, il sera déposé dans un cachot où des chaînes de fer le tiendront captif, et jusqu’à la fin de sa vie il n’aura pour nourriture que du pain et de l’eau. La dégradation de Bernard eut lieu le jour même sur la place du marché de Carcassonne. Outre les juges et leurs assesseurs, furent présens à cette expiation solennelle les évêques de Carcassonne, de Mirepoix et d’Alet, les abbés de la Grasse et de Montolieu, les sieurs François de Lévis, Guillaume de Voisins, Dalmace de Marziac, Raymond d’Accurat, divers autres chevaliers et une véritable foule d’avocats du roi, de juges et de légistes. La cérémonie terminée, Bernard fut conduit aux cachots de l’inquisition, hors de l’enceinte de Carcassonne, sur les bords