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Enfin l’inquisiteur Jean de Belna prend la parole pour dire que, si les pièces produites ne paraissent pas suffisamment prouver les menées hostiles de Bernard contre l’inquisition, il en fournira d’autres. Le lendemain, l’archevêque de Toulouse s’excuse de ne pouvoir assister plus longtemps au procès, se retire, et charge ses deux suffragans de continuer sans lui. De Castelnaudary, le tribunal se transporte ensuite à Carcassonne ; il siège à Carcassonne le 12 septembre dans le palais de l’évêque. L’interrogatoire de Bernard commence le 2 octobre. Sur le premier chef d’accusation, il donne des explications complètes. On l’accuse d’avoir travaillé de tous ses efforts à perdre dans l’esprit du roi, du pape et du peuple d’Albi les ministres de l’inquisition dominicaine. Oui, c’est ce qu’il a fait. La mémoire des témoins entendus par les commissaires apostoliques ne les a pas toujours heureusement servis : racontant des choses depuis longtemps passées, ils ont mêlé le faux au vrai ; mais le vrai, loin de le contester, Bernard le proclame. C’est le mérite de sa vie d’avoir combattu les puissans persécuteurs du peuple d’Albi, et, s’il n’a pas enfin obtenu la suppression de leur détestable tyrannie, il le regrette.

Les premières déclarations de Bernard sur la trahison concertée avec le prince Fernand ne sont pas aussi sincères. Il ne nie pas le fait, mais il le raconte de telle sorte qu’il ne paraît pas dire toute la vérité. Les juges l’invitent donc à compléter ses aveux. Il répond qu’ils sont complets. Les juges mandent alors l’official de Limoux, Hugues de Badafeuille, et le chargent de vaincre par la torture le silence obstiné de Bernard. Ils lui recommandent toutefois d’avoir égard à son âge et de ne pas le torturer jusqu’à ce que la mort s’ensuive, ut bene caveret quod ex hujusmodi quœstionibus frater Bernardus mortem, aut membri amissionem… incurrere quoquo modo posset. On emmène donc l’accusé, qu’accompagnent plusieurs notaires chargés de recueillir durant les opérations de la torture ses trop tardifs aveux. Bernard était un de ces hommes dont on ne doit pas mettre le courage à de telles épreuves. Pourquoi douter qu’ils sachent souffrir ? Ce doute les révolte, ils se raidissent contre la douleur et l’on se fait vaincre par leur indomptable constance. Bernard, torturé, ne dit rien ; mais le lendemain, quand il reparaît devant ses juges, il commence de lui-même, sans contrainte, le récit de toute la conspiration. Il n’en est pas l’inventeur, il ne l’a pas approuvée, il y a toutefois, il en convient, participé, et il a déjà rendu compte de cette participation à la cour du roi, à la cour du pape. Appartient-il à des juges d’église de s’attribuer la poursuite d’un délit civil dont l’autorité civile a par lettres expresses absous l’auteur ?

Quant au troisième chef de l’accusation, l’empoisonnement du