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et donné par écrit les instructions nécessaires, comme on dit, à la perpétration du crime. Ce crime, c’est le médecin du pape, le docte, l’illustre Arnauld de Villeneuve, qui l’a exécuté. Bernard, interrogé, refusa d’abord de répondre, et fut immédiatement excommunié. Il répondit ensuite sur quelques articles, mais avec une dédaigneuse réserve, se plaignant d’avoir été traduit devant des commissaires de médiocre autorité, des hommes nouveaux, appelés la veille aux affaires par la faveur du pape, quand il y avait à la cour d’Avignon quatre ou cinq cardinaux mieux instruits que personne des faits sur lesquels il avait à s’expliquer.

Furent ensuite entendus, à la requête des inquisiteurs avec eux réconciliés, les témoins Guillaume Fransa, Pierre de Castanet et Bernard Bet, citoyens d’Albi, qui, rappelant toutes les circonstances de ces luttes anciennes auxquelles ils avaient pris une si grande part, confirmèrent par des preuves suffisantes les articles qui se rapportaient aux deux premiers chefs de l’accusation. Ces détails sont connus. C’est leur déposition sur le troisième chef qu’on doit être plus curieux d’entendre. En peu de mots, la voici. Un jour, vers le temps où mourut Benoît XI, Bernard, en présence de Guillaume Fransa, envoie Bernard Bet chercher de la cire et de la toile, charge Bet et Fransa d’enduire la toile avec la cire, puis leur présente un coffret de cuir et les prie d’envelopper ce coffret avec la toile cirée ; enfin il remet le coffret à un de ses serviteurs nommé Étienne, et le charge de le porter à maître Arnauld de Villeneuve, au-delà des monts, en cour romaine. Cela se fait si simplement que Bet et Fransa ne demandent pas même à Bernard ce que le coffret peut contenir ; mais il leur dit : « C’est une lettre, nous aurons bientôt des nouvelles de la cour, bonnes, j’espère. » Tel est le récit des témoins. Que ces gens, ayant plus tard appris la mort de Benoît XI, aient alors imaginé quelque mystérieuse coïncidence entre cette mort subite et l’envoi d’un coffret de cuir au médecin du pape, cela se conçoit sans beaucoup de peine : on sait en effet qu’en ce temps-là les gens crédules ne manquaient pas ; mais nous n’excusons pas aussi facilement l’auteur des articles qui furent la matière de l’enquête, arguant de ces fictions puériles pour en tirer toutes les circonstances d’un crime prouvé. L’auteur de ces articles a certainement commis le plus effronté des mensonges. Jean XXII lui-même, instituant après l’enquête le tribunal qui doit juger Bernard, osera parler aussi de ce crime et en des termes nouveaux, mais encore plus précis. Cet homme justement populaire, que des commissaires choisis vont retrancher du monde, il faut diffamer sa mémoire : c’est un assassin ; il a fait périr un pape au moyen d’un breuvage empoisonné ; operam dedit ut veneni poculo necaretur.