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pouvait déjà soupçonner de la grande influence de l’unitarisme à Rome pendant le IIe siècle. Théodote, il est vrai, fut excommunié par l’évêque Victor (190-200) ; mais il semble que ce fut à cause de sa faiblesse en temps de persécution et nullement à cause de ses opinions théologiques. Du moins quand les amis d’Artémon furent excommuniés à leur tour au IIIe siècle, ils se plaignirent d’être chassés de l’église pour le crime de prêcher la doctrine traditionnelle de la communauté romaine, laquelle, disaient-ils, n’avait été altérée qu’à partir de l’évêque Zéphyrin (201-218). Déjà les historiettes cléricales commençaient à circuler, comme on peut le voir par celle que voici. Ce parti d’unitaires, banni de la communion catholique, était assez nombreux pour ériger une église à part et se donner un évêque qu’il payait bien. Cet évêque, nommé Natalis, avait bravé la persécution et souffert pour le nom chrétien ; son renom de fidélité ajoutait au lustre de la communauté qu’il dirigeait. Cependant, depuis qu’il avait revêtu cette fonction, le pauvre évêque unitaire était hanté de rêves effrayans. Le Seigneur en personne lui apparaissait chaque nuit pour lui reprocher sa conduite et ses erreurs. Au réveil, la vanité, l’amour du gain, l’empêchaient d’obtempérer à ces objurgations nocturnes. D’ailleurs les révélations faites sous le voile du rêve ont toujours quelque chose de vague : il fallut donc employer des moyens plus efficaces de persuasion. Par une belle nuit, à la place du Seigneur, ce furent de saints anges qui vinrent le visiter et qui le fouettèrent sans miséricorde jusqu’au matin. Il n’y avait rien à répondre à un pareil argument, et Natalis courut se jeter aux pieds de l’évêque légitime, montrant les marques encore fraîches des coups qu’il avait reçus et implorant sa réintégration. Ce conte se lit tout au long dans Eusèbe, qui le rapporte gravement au cinquième livre de son Histoire ecclésiastique.

Ce qui est à noter soigneusement, c’est que cet unitarisme radical était excommunié, non par les partisans de la doctrine proprement dite du Verbe, mais dans l’intérêt d’un autre unitarisme qui, n’acceptant pas encore cette doctrine, cherchait à maintenir d’une autre manière la stricte unité de Dieu. Dans le travail que nous venons de rappeler, nous avons parlé assez au long de cet unitarisme dit sabellien, du nom de Sabellius, son plus éminent représentant, mais qui existait bien avant Sabellius, et qui consistait essentiellement dans l’idée que le Père, le Fils et l’Esprit sont, non pas trois personnes distinctes, mais trois noms, trois modes de manifestation dans l’histoire du Dieu unique. Sur cette base, on pouvait aller jusqu’à annihiler la personne humaine de Jésus au point de ne plus voir en elle que l’instrument impersonnel, inconscient, de l’esprit divin, ce qui amenait à des conséquences peu respectueuses