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siens, plus il est impatient aujourd’hui de voir châtier leur félonie. Il écrit donc à Clément V, nouveau pape, pape de sa façon, qui ne doit rien lui refuser, de faire immédiatement arrêter frère Bernard, son justiciable ; il écrit en même temps au sénéchal, Jean d’Aunay, d’arrêter lui-même Élie Patrice avec ses complices civils, et de les juger sans délai. Sur les ordres du pape, le gardien du couvent de Paris apprit à Bernard qu’il était prisonnier, et plaça dans sa chambre quelques religieux chargés de veiller sur lui. En même temps, le 24 du mois d’août, les autres conjurés signalés par le roi furent incarcérés à Carcassonne. Leur procès ne traîna pas en longueur. Le 28 septembre, Élie Patrice et quatorze autres citoyens de Carcassonne, dont les chroniqueurs n’ont pas cru devoir nous transmettre les noms, furent suspendus au gibet hors des murs de la ville consternée. Le 29 novembre, le même supplice fut infligé à la même place à quarante habitans de Limoux. La ville d’Albi ne fournit pas une seule victime à cette expiation. Averti que les consuls d’Albi n’avaient pas voulu participer à la ligue, le roi n’avait désigné personne de cette ville aux recherches de Jean d’Aunay. Cependant elle ne fut pas assez protégée par le silence du roi. Le sénéchal, ayant achevé le procès de Carcassonne, fit savoir qu’il allait commencer celui d’Albi. Les consuls, alarmés par cette nouvelle, chargèrent alors Guillaume de Pesencs et Gahlard Étienne d’aller porter en leur nom à Jean d’Aunay 500 livres de monnaie courante, s’engageant à lui compter peu de temps après pareille somme, s’il voulait s’abstenir de toute poursuite ; mais Jean d’Aunay déclara que l’action de la justice ne pouvait être suspendue par des promesses, et ne donna que cinq jours aux consuls d’Albi pour compléter leur présent de 1,000 livres. Dans les cinq jours, le complément fut porté par Guillaume Amat et Pierre de Castanet, alors consuls. Voilà comment la ville d’Albi fut épargnée.

Bernard ne pouvait être aussi promptement jugé qu’Élie Patrice. La cour romaine avait déjà contracté ces habitudes de temporisation et de lenteur circonspecte qu’on lui a depuis tant de fois reprochées. Au mois de novembre, le nouveau pape allant se faire couronner dans la ville de Lyon, Bernard fut transféré dans cette ville, sous bonne garde, qu’on n’en doute pas : un pape aussi fidèle serviteur du roi ne pouvait laisser échapper un tel prisonnier. Cependant ce pape et ses cardinaux, qui tous avaient une égale passion pour la magnificence, ne devaient pas, on le comprend, employer à une enquête judiciaire le temps que leur demandaient les laborieux préparatifs d’un couronnement. Le couronnement achevé, trop de repos était nécessaire aux cardinaux anciens, trop d’affaires étaient à la fois recommandées à l’inexpérience des