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gardes ne parurent pas ce jour-là. On s’était promis de l’arrêter sans bruit, sans témoins, hors des murs ; informé de ce dessein, Bernard ne quitta pas la ville. Quelques jours après, au commencement de juillet, Jean Rigaud, vicaire du provincial d’Aquitaine, pénétra dans la chambre de Bernard, le saisit de sa main et le somma de venir en cour de Rome. Il aurait fallu des gardes. Ayant repoussé la main de l’agresseur, Bernard lui déclara très fermement qu’il ne le suivrait pas, et Jean Rigaud en fut réduit à l’excommunier, ce qui ne le troubla guère. On avait tant abusé de l’excommunication que cette arme, autrefois si funeste, ne blessait plus. Aux excommuniés, tous leurs amis restaient fidèles ; il était même devenu bien difficile de leur interdire l’entrée des églises et l’usage des sacremens. Les seules, excommunications qu’on eût alors à redouter étaient celles que l’opinion publique avait elle-même sollicitées. Quant à la sentence prononcée par Jean Rigaud, elle fut d’abord méprisée, puis cassée. Peu de temps après le ministre d’Aquitaine, reprenant sa place mal occupée par son vicaire, la déclara nulle et sans effet. Ainsi le mandat du pape n’obtint qu’un simulacre d’exécution, et Bernard, demeuré libre, reparut en chaire. Benoît XI n’eut pas le temps de prendre d’autres mesures contre Bernard et ses supérieurs, devenus ses complices. Le 6 juillet 1304, il mourut à Pérouse, âgé de soixante-quatre ans, des suites d’une indigestion.

Quand la nouvelle de sa mort parvint à Bernard, il l’annonça en chaire comme un heureux événement. Les prêcheurs ont eu leur pape, maintenant les mineurs peuvent en espérer un de leur robe. Il faut donc se réjouir de la mort de Benoît XI. On s’étonne peut-être aujourd’hui de voir ainsi traiter un pape. Les accusateurs de Bernard se contentent de rappeler en quelques mots, dans une phrase incidente, qu’il publia la mort de Benoît XI « avec des moqueries, cum derisiombus publice prœdicando. » C’est un fait auquel ils ne s’arrêtent pas. Dans l’église du XIVe siècle, qui différait tant de la nôtre, il était commun de voir les clercs aussi bien que les moines injurier dans leurs discours, dans leurs écrits, les papes avec lesquels ils n’étaient pas d’accord, non pas seulement en France, mais partout ailleurs et même en Italie. L’église, alors agitée par plus de partis qu’il n’en existe aujourd’hui dans l’état, parlait de ses papes, même vivans, aussi librement que nous parlons de nos rois. Bernard porte donc la grande nouvelle, la nouvelle de la mort du pape, dans les diocèses de Carcassonne et d’Albi, montant en chaire dans tous les bourgs qu’il visite. L’argument de ses discours est partout le même : le pape est mort ; espérons d’un nouveau pape plus de justice. Mais sur ces entrefaites une autre nouvelle vient d’Italie. On apprend que le vidame, comme le pape, a cessé