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ordres, et se rend à la hâte près de Fernand. Plusieurs témoins rapportent qu’après avoir reçu la visite de son père Fernand sortit du château la tête nue, les cheveux en désordre. Son père ne l’avait pas seulement admonesté, il l’avait encore battu, sans aucun souci d’une majesté depuis longtemps majeure. Bernard ne revit pas Fernand ; il ne revit pas même le roi. Rentré dans ses appartemens, le roi lui fit dire par son chancelier de quitter aussitôt le pays, et, craignant à bon droit d’être arrêté, Bernard s’empressa d’obéir. Comme on était à la fin du jour, il ne put dépasser Boulon avant la nuit close ; mais dès le lendemain il se dirigea à la hâte sur Perpignan, et, sans y séjourner, il se rendit par le chemin le plus court à Carcassonne. Le prince Fernand n’essaya plus de renouer avec les gens de Carcassonne la négociation interrompue. Les gens de Carcassonne, ayant appris de Bernard qu’ils ne devaient rien attendre de ce côté, n’envoyèrent à Fernand aucune autre ambassade. L’affaire était avortée, bientôt on n’en parla plus.

Élie Patrice a donc fini son rôle, et Bernard recouvre toute sa liberté d’action ; mais l’état des esprits n’est plus ce qu’il était autrefois. Depuis le voyage du roi, dont on espérait tant et dont on n’a presque rien obtenu, le groupe des conspirateurs s’est seul agité pour la cause, et le voilà lui-même découragé. La confiance est maintenant dans le parti de l’inquisition. Ainsi toujours aux grandes émotions succèdent les grandes fatigues ; on reste mécontent, mais on devient silencieux. C’est le moment où les ambitieux changent de parti. Bernard n’était pas homme à faire une de ces conversions intéressées. Loin de là : quand il a rendu compte de son infructueuse mission, quand il est bien convenu que tout projet de défection est abandonné, il recommence ses prédications.

Le 3 mai 1304, il prêche à Toulouse, dans l’église de Saint-Sernin. La chaire de Saint-Sernin n’est pas une chaire franciscaine, le consulat de Toulouse n’est pas animé des mêmes sentimens que ceux de Carcassonne et d’Albi, et dans la ville même les inquisiteurs ont un parti considérable. Bernard paraît donc téméraire lorsqu’il choisit Toulouse comme le premier théâtre de sa prédication nouvelle ; mais, ayant dit quelques mots sur l’affaire qui seule l’intéresse, il s’arrête. Venu, dit-il, pour faire un plus long sermon, il apprend que dans l’auditoire se trouvent des espions chargés de l’interrompre et de l’arrêter en pleine chaire. Il se tait donc pour prévenir un grand scandale, et, partant aussitôt de Toulouse, il va chercher dans les murs d’Albi de plus sûrs confidens. Devant les Albigeois, il s’exprime ainsi le jour de la Pentecôte : « Bonnes gens, quelques fils d’iniquité vous ont assuré que j’avais fait une honteuse retraite en Catalogne, avec l’argent, avec les chevaux que j’ai reçus de vous pour en faire un tout autre usage.