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avec la cour romaine, et d’ailleurs le nouveau pape (Benoît XI avait remplacé Boniface VIII le 22 octobre 1303), sorti d’un couvent de prêcheurs, ardent ami de son ordre, ne touchera jamais à ses priviléges, ne condamnera jamais ses ministres. Tenez cela, messieurs, pour certain, et sachez attendre de plus favorables circonstances. » C’était sagement dit. Guillaume de Nogaret, le triste héros d’Anagni, ne pouvait être suspect de quelque penchant pour les ministres, du saint-office ; mais il connaissait les deux cours, les desseins et les soucis de l’une et de l’autre, et prévoyait ce qu’il fallait prévoir. Cependant ce simple aveu de la vérité troubla beaucoup ceux qui l’entendirent. Avant la fin de la journée, Pierre d’Arnauld et Élie Patrice se rendent à la demeure de Bernard et lui disent : « Le roi nous abandonne, le pape nous trahira. Sommes-nous perdus, ou quel espoir de salut avons-nous encore ? » Bernard leur conseilla, dit-il, de ne pas douter de la Providence. Nous hésitons à croire qu’il ait relevé beaucoup par ce conseil leur confiance abattue. Quoi qu’il en soit, l’événement le plus inattendu vint quelques jours après non pas seulement confirmer, mais encore aggraver les plus sinistres pressentimens d’Élie Patrice.

Arnauld Terrien, Pierre d’Arnauld et Élie, Patrice ont été chargés par leurs concitoyens d’offrir deux vases d’argent au roi et à la reine. Le roi n’a fait que traverser Carcassonne, et quand il quittait cette ville, les vases n’étaient pas achevés. Dès qu’ils sont parvenus à Béziers, on les porte au palais ; mais, si la reine accepte le présent, le roi le refuse. Ainsi tout va de mal en pis. Il y a peu de jours, Guillaume de Nogaret avertissait les gens de Carcassonne que le roi négligerait leurs affaires pour les siennes ; il ne s’agit plus maintenant de négligence, il s’agit de mépris : puisqu’il refuse leur présent, le roi les méprise et ne veut pas qu’ils l’ignorent. Que s’est-il passé depuis l’entrevue de Toulouse ? La cour, partie de Béziers, était à Montpellier le 15 février 1304. Les consuls de Carcassonne se sont acheminés vers cette ville sur les traces du roi, désireux d’obtenir une audience et de se justifier. Or, quand ils sollicitent cette faveur et peuvent se croire autorisés à l’espérer, ils reçoivent un nouvel affront. Le roi leur fait rendre à Montpellier le vase accepté par la reine, et sur les motifs de cette restitution, plus injurieuse encore que le précédent refus, le roi garde le même silence. Bernard, toujours consulté, n’a plus de conseils à donner. Cependant Pierre d’Arnauld, Pierre Probi, Élie Patrice et les autres compagnons de Bernard persistent à suivre le roi, qui se rend à Nîmes. Dans quel dessein ? Ils ne le savent guère ; mais, en attendant qu’ils obtiennent les explications qu’on ne daigne pas leur donner, ils se plaignent, et leurs plaintes, de jour en jour plus vives, vont frapper d’autres oreilles que celles du roi Philippe.