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Toulouse, allant à Béziers par Carcassonne. Carcassonne s’était parée pour le recevoir dignement : partout des banderoles et de splendides tapisseries. Élie Patrice, le premier de la ville, conduisit Philippe au château ; mais quand celui-ci, rendu près du grand escalier, allait en gravir les marches : « Roi de France, lui dit d’une voix forte Élie Patrice, détournez-vous, et contemplez cette misérable ville, qui est de votre royaume, et que l’on traite si durement ! » L’irrévérence de ce langage blessa le roi, qui donna l’ordre d’éloigner l’importun. Retournant donc au bourg de Carcassonne en pressant le pas de son cheval, Élie Patrice dit aux premiers citoyens qui vinrent à sa rencontre, lui demandant des nouvelles : « Allez par les rues, par les chemins, détachez les drapeaux flottans et enlevez à la ville ses habits de fête, car ce jour est un jour de deuil. » Ce qui veut dire : plus d’illusions ! il ne faut plus rien attendre du roi de France. Élie Patrice va-t-il donc cesser de combattre, ayant perdu l’espoir de vaincre ? Aux hommes de son tempérament, le désespoir ne conseille jamais la résignation.

Le roi se rendit ensuite à Béziers. Bernard l’accompagna dans ce voyage, suivi lui-même par sa propre cour, Pierre d’Arnauld, Arnauld Garoia, Arnauld Terrien, Pierre Probi, Guillaume de Saint-Martin, Élie Patrice. Assurément le grand agitateur n’était point satisfait, car il avait beaucoup plus promis au nom du roi qu’il n’avait obtenu ; mais le roi l’avait bien traité, comme un homme dont les conseils doivent toujours être entendus, même lorsqu’ils ne doivent pas être suivis, et dans une cour pleine de parvenus, où l’on faisait profession de n’estimer les gens que d’après leur mérite, il avait acquis l’autorité d’un personnage. Ne se propose-t-il pas d’ailleurs en suivant le roi d’exercer autour de lui la surveillance la plus active, de lui parler encore de hâter l’expédition des pièces qui doivent être envoyées à Rome, enfin d’enlever à ses adversaires et de s’attribuer à lui-même tout le profit des éventualités ? Élie Patrice ne croyait plus au succès des moyens employés par Bernard, et néanmoins il le suivait encore, parce qu’il en avait pris l’habitude et parce que ses amis l’entraînaient avec eux, espérant toujours. Cependant il se fit à Béziers un changement notable dans les sentimens de cette compagnie.

À Béziers, étant au palais de l’évêque avec la cour, Bernard aborda Guillaume de Nogaret, et en présence d’Élie Patrice, de Pierre d’Arnauld et de quelques autres, il pria ce puissant favori de faire promptement parvenir à la cour de Rome les justes requêtes de l’Albigeois. Guillaume de Nogaret lui répondit : « Oui sans doute, on y songera, mais plus tard. Le roi a beaucoup d’autres affaires plus personnelles et plus considérables à régler