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à persuader dans ce temps-là en matière d’authenticité, et le contenu du livre nouveau plaisait aux lecteurs. Tout favorisa cette formule philonienne du christianisme : Jésus est le Verbe incarné. Les platoniciens, qui entraient en grand nombre dans l’église, la saluèrent comme une admirable conciliation de la raison et de la foi. La piété populaire fut heureuse de se représenter l’objet de son amour ardent sous des traits si augustes, qui pourtant ne semblaient pas faire brèche à la grande idée monothéiste. Le Christ-Verbe, dépositaire par essence de la sagesse éternelle, était par conséquent le révélateur absolument digne de foi de la vérité parfaite, et c’était surtout comme révélation surnaturelle de vérités inconnues que l’on comprenait l’Évangile. L’épiscopat, qui depuis le milieu du IIe siècle s’élevait au-dessus du presbytérat primitif et arrivait rapidement, malgré quelques résistances locales, à l’omnipotence ecclésiastique, se prononça généralement en sa faveur. Chaque évêque était dans sa communauté l’organe local du Verbe de Dieu. En un mot, quand le IIIe siècle commence, la doctrine du Verbe appliquée à Jésus-Christ a pour elle les meilleures forces du présent et toutes les promesses de l’avenir. Sa victoire, encore fortement contestée par les contemporains, ne peut plus faire doute aux yeux de l’historien. Avant la fin du IIIe siècle, elle sera la doctrine orthodoxe et catholique.

Théophile d’Antioche, Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie, qui fleurissent à la fin du IIe siècle et au commencement du IIIe, Cyprien, Origène, Denys d’Alexandrie, Denys de Rome, qui leur succèdent, nous en fournissent les traits généraux. D’après cette doctrine, le Christ était essentiellement autre chose et bien plus qu’un homme : c’était cette personne d’essence divine, sortie du sein de Dieu pour créer, organiser, diriger le monde, et qui, après avoir inspiré Moïse et les prophètes, — les plus larges ajoutaient : et les sages de l’antiquité païenne, — avait enfin revêtu la chair humaine pour donner à l’humanité mûrie la vérité définitive et complète. Jésus était donc un dieu ; mais, — et que l’on veuille bien s’en souvenir, car c’est ce qui distingue cette orthodoxie du IIIe siècle de l’orthodoxie ultérieure, c’est ce qui explique les violens et longs débats de l’arianisme, c’est enfin le reflet encore immédiat du philonisme, dont ce mouvement d’idées est parti, — Jésus ou le Fils n’était pas égal au Père : il lui était subordonné, non pas seulement comme le serviteur l’est à celui qui lui commande, mais aussi comme l’être dérivé, qui ne possède pas en lui-même la raison suffisante de sa vie, l’est à celui-là seul qui possède l’existence absolue. Maintenant, selon les inclinations individuelles des docteurs chrétiens, cette infériorité du Fils était plus ou moins accentuée. Par exemple, les uns, comme Tertullien, insis-