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série de tortures on les a contraints à faire l’aveu mensonger de leurs prétendus crimes. Une autre assemblée se tient en même temps dans une maison qu’avait autrefois possédée Raymond Costa, évêque d’Elne. Les réformateurs y trouvent d’autres personnes qui leur donnent le même conseil. Le peuple, dit-on, ne veut plus attendre ; si l’on ne se presse pas de le devancer aux souterrains, il y va courir. Pour tout ce qui concerne les affaires de l’inquisition, les réformateurs se sont contentés jusqu’à ce jour d’encourager les plaintes, de les recueillir, de les porter à la connaissance du roi, et de les justifier devant lui. Or on leur demande aujourd’hui d’agir eux-mêmes et à la hâte, comme en pareille circonstance le roi n’agirait pas. Ils hésitent, puis ils promettent ; mais ils promettent de manière à laisser croire qu’ils hésitent encore.

Quelques jours après, le vidame est circonvenu par une multitude de femmes qui se précipitent à sa rencontre, poussant des cris de désespoir. Ce sont les femmes des emmurés d’Albi, conduites par Bernard. Comme elles menacent même, dans l’égarement de leur douleur, le commissaire du roi, Bernard s’efforce de les contenir, et pour elles il supplie le vidame, disant que l’heure de la justice a déjà trop tardé. Le vidame voudrait cependant la retarder encore ; mais l’émotion gagne toute la ville. Sortant de leurs maisons, les ennemis les plus déclarés de l’inquisition se portent à l’église des frères mineurs pour délibérer une dernière fois. La délibération n’est pas longue. Si les réformateurs, pressés par les femmes, leur résistent, si dans ce jour même ils ne vont pas aux cachots en ouvrir les doubles portes et rendre les prisonniers à la lumière du jour, leur besogne sera faite par les citoyens réunis en ce lieu. Les chefs de l’entreprise sont Pierre de Castanet et Guillaume Fransa : avec eux s’enferment dans l’église environ quatre-vingts conjurés, et dans ce nombre des gens de métier déjà pourvus des instrumens à l’aide desquels ils pourront promptement briser tous les obstacles, Les portes closes, ils attendent, silencieux et résolus, les nouvelles du dehors. Enfin, vers le milieu du jour, le vidame, vaincu par tant de prières, se dirige vers les cellules des condamnés. Quand il arrive sous les murs de la prison, Gahlard de Blumac, frère prêcheur, paraît derrière les barreaux de fer d’une des fenêtres et à haute voix le somme de s’arrêter où finit la juridiction du roi. En même temps ce religieux lance au vidame un papier où par écrit il proteste contre la violence qui le menace ; mais le vidame, ne faisant pas plus état du papier que du discours, ordonne aux geôliers d’ouvrir immédiatement les portes, et pénètre dans l’intérieur de la prison, suivi de Bernard, d’Arnaud Garcia, de Pierre Probi, après lesquels se précipite la multitude ; les cachots sont vidés, et tous les malheureux déposés vivans dans ces noirs