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injure et ne s’inquiétant en rien d’obvier aux graves périls, au scandale public, qui doivent être la conséquence de toute cette conduite. Aurait-on osé croire, frère Guillaume, qu’un ministre provincial de notre royaume et les autres religieux de son ordre auraient eu de notre temps, comme cela vient d’avoir lieu, la hardiesse de soutenir contre nous, contre l’opinion d’un peuple entier, une personne si détestable, accusée de tant d’infamies, de tant de crimes ? C’est en dire assez. En peu de mots, mais avec beaucoup d’affection, je vous prie de vouloir bien encore engager le provincial et ses confrères à modifier la résolution qu’ils ont prise, et à remédier par là le mieux qu’ils pourront au présent état des choses…[1]. » Le roi ne pouvait exprimer plus vivement à quel point on l’avait offensé ; mais, après quelques jours de réflexion, il avait cru devoir encore, par égard pour un ordre puissant, proposer un moyen de conciliation et promettre l’oubli de l’injure.

Cependant cette démarche sera vaine. Tout l’ordre de saint Dominique s’émeut et se concerte. Céder à la requête du roi et déposer immédiatement l’inquisiteur de Toulouse, c’est se condamner soi-même. — On ne céda pas. Malgré les ordres comme malgré les prières du roi, Foulques de Saint-George fut maintenu. Philippe le Bel eut alors un accès de colère. Il écrivit aux sénéchaux de Toulouse, de Carcassonne et d’Agen, leur enjoignant de mettre la main du roi sur les prisonniers de l’inquisition, d’interdire à Foulques toute poursuite nouvelle et de supprimer ses gages. Ce fut une grande mesure et d’un grand effet : l’inquisition, intimidée, cessa d’agir, et les populations respirèrent. Foulques de Saint-George conserva son titre, même après le carême, même après les fêtes pascales de l’année suivante. Il ne fut remplacé que le 29 juin 1302. Cette révocation fut prononcée par un chapitre général siégeant à Paris. Guillaume de Morières, prieur du couvent d’Albi, lui fut donné pour successeur, et dans les premiers jours de juillet le roi écrivit aux sénéchaux de Toulouse et de Carcassonne une nouvelle lettre pour leur donner l’ordre de reconnaître Guillaume de Morières et de lui rendre l’administration des prisons ainsi que la jouissance du traitement supprimé.

Les députés albigeois étaient encore à Paris. Ayant appris la destitution de Foulques de Saint-George, maître Arnauld Garcia, Pierre de Castanet et Élie Patrice se rendent ensemble au couvent des mineurs pour y voir Bernard. Bernard ne triomphe pas, car il connaît Guillaume de Morières et se défie de lui. Il regrette que le roi n’ait pas assez fait. Reconnaissant toutefois qu’il est venu comme député d’Albi dénoncer les méfaits d’un seul homme, que cet homme

  1. Hist. Du Lang., t. IV, pr., col. 120.