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l’Occident. Ce fut l’idée du Logos ou du Verbe divin. Sans doute on peut remonter plus haut encore pour en décrire la genèse. La sagesse des Juifs et la philosophie des Grecs en contenaient déjà les élémens ; mais elle n’apparaît pourtant armée de toutes pièces que dans les écrits de Philon, contemporain de Jésus et qui ne pensait guère au prophète de Nazareth quand il déroulait ses spéculations sur l’être divin. Sa grande ambition était d’expliquer la coexistence de l’infini et du fini, du créateur parfait et de la créature imparfaite, en stipulant l’existence d’un être intermédiaire, issu de Dieu au moment de la création, porteur ou plutôt condensateur des idées divines et chargé de les appliquer au monde, qui lui doit ainsi l’ordre, la vie, le développement, tout ce qu’il possède de beauté, de lumière, de raison et de bien. Ce Logos ou Verbe (ainsi appelé parce qu’il représente la raison divine et cette raison exprimée, proférée, devenue extérieure à Dieu) était donc de l’essence même de Dieu, tout en lui étant inférieur ; c’était, selon les expressions mêmes de Philon, un dieu de second ordre, un serviteur du seul vrai Dieu, d’un côté communiquant au monde l’essence divine qui constituait son être, de l’autre ne faisant aucun tort, du moins dans l’intention du système, au monothéisme. Il rentrait à la fois dans la catégorie de l’imperfection et dans celle de la divinité.

Nous n’avons pas à discuter la valeur de cette théorie, nous nous bornons à en indiquer l’existence et à constater l’accueil favorable qu’elle reçut chez nombre d’esprits façonnés par le platonisme, par conséquent facilement portés à n’attacher qu’une rigueur médiocre à l’idée de personnalité. Ce qui de plus ne peut nous surprendre au point où nous avons laissé la christologie, c’est que, dans son ascension vers la Divinité, la personne de Jésus se rencontra avec celle du Verbe, qui en descendait, et s’identifia longtemps avec elle. Cette identification s’opéra, pour ainsi dire, tacitement, en ce sens qu’aucune délibération, aucun décret novateur, aucun conciliabule de théologiens ne la promulgua. Elle était dans l’air, elle se superposa aux doctrines déjà populaires, et devint peu à peu la doctrine orthodoxe. Deux chrétiens contemporains qui ne se sont pas connus, Justin Martyr et l’auteur du quatrième évangile, la préconisèrent au milieu du IIe siècle comme la doctrine chrétienne par excellence. Celui-ci écrivit son livre pour refondre l’histoire évangélique au point de vue des exigences de la nouvelle doctrine, lesquelles ne s’accordaient pas très bien avec le type historique auquel les trois premiers évangiles étaient restés fidèles. Que l’on examine l’une après l’autre toutes les différences qui distinguent cet évangile des autres, et l’on verra qu’il a systématiquement obéi à ce besoin de sa foi philosophique. Du reste le succès et la prompte adoption de son évangile n’ont rien qui doive nous étonner. On n’était pas difficile