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cortége, car il faut tout dire, s’en joint un autre qui l’est beaucoup moins. Une femme nommée Navenias avait un grief particulier contre Foulques de Saint-George ; elle l’accusait de l’avoir rendue mère. Les consuls d’Albi lui donnent 10 livres tournois pour ses dépenses, un cheval pour monture, et l’envoient à Paris avec leurs autres députés déposer devant le roi sur les mœurs de cet homme qui censure avec tant de rigueur les doctrines de son prochain.

Tandis que se forme la légion des accusateurs, les accusés de leur côté se rassemblent et préparent leur défense. Ils ne tiennent pas, il est vrai, de l’autorité royale leur juridiction sur les consciences ; ils sont la vaillante milice des papes ; ils ne peuvent toutefois se dissimuler que les domaines des deux pouvoirs qui prétendent régir le monde sont dans le présent assez mal déterminés, et que l’expresse approbation du pape ne saurait elle-même les protéger efficacement contre la malveillance du roi. Ils enverront donc à Paris, eux aussi, des députés, et à leur tête le plus vivement accusé des inquisiteurs, Foulques de Saint-George. Leur cause sera d’ailleurs, ils l’espèrent, énergiquement défendue par les nombreux amis qu’ils ont auprès du roi et par l’évêque même de Toulouse, qui de son côté se rend à la cour, où il est appelé comme un des témoins les plus importans de la trahison de Pamiers.

La cour était à Senlis, où Saisset, l’évêque de Pamiers, accusé de trahison, devait comparaître devant le roi. La députation albigeoise s’arrête néanmoins à Paris, et Bernard va prendre domicile dans le couvent de son ordre, sous les murs de la ville, près de la rue du Paon. Comme il dirige tous les mouvemens de l’ambassade, sa chambre est souvent visitée. Ce n’est pas en effet une de ces cellules bénédictines où ne pénètrent jamais les gens du dehors. On ne professe pas dans les ordres nouveaux l’horreur du siècle ; on n’y encourage pas le désœuvrement de la vie solitaire. Non-seulement la chambre de Bernard est ouverte à tout venant, mais il en sort fréquemment lui-même pour aller à Senlis voir le roi, la reine, les réformateurs du Languedoc, les seigneurs de la cour, quiconque peut le servir. Au retour, il rédige les mémoires qui seront présentés par ses compagnons de voyage. Son zèle ne connaît pas le repos.

Nous avons un compte-rendu fait par lui de son premier colloque avec le roi dans le château de Senlis en présence du vidame d’Amiens, du comte de Saint-Pol et de quelques autres seigneurs. Informé déjà par le vidame, le roi demande à Bernard des détails nouveaux. Bernard raconte l’histoire des précédentes années, se proposant de démontrer que l’odieuse oppression contre laquelle l’Albigeois se révolte est à peu près également imputable à tous les ministres de l’inquisition. Ils sont, il est vrai, suivant la diversité de leurs caractères, plus ou moins cruels et plus ou moins rapaces ;