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sans attendre les ordres de son général, les personnes et les biens. L’inquisiteur de Carcassonne avait donc en Bernard de Castanet un collaborateur, un émule plein de zèle, et, si durement traitée par l’un et par l’autre, la malheureuse ville d’Albi, qui avait fait autrefois de vains appels à la justice de Philippe III, en était maintenant réduite à solliciter la protection de Philippe IV. Elle n’avait plus en effet d’autre espoir.

La ville de Carcassonne n’avait pas été plus épargnée. Elle ne se plaignait pas, il est vrai, de son évêque ; mais elle se plaignait beaucoup de son inquisiteur, car à tous ses anciens griefs contre les ministres du saint-office s’en joignaient de nouveaux. Quelques années auparavant, en 1295, deux illustres professeurs de droit romain, Guillaume Garric et Guillaume Brunet, poursuivis et condamnés comme hérétiques, avaient pu facilement soulever toute la ville et faire reculer un instant leurs ennemis devant cette manifestation redoutable de la colère publique[1] ; mais l’inquisiteur, ayant assigné les rebelles devant la cour de Rome et devant la cour de France et obtenu contre eux deux sentences sévères, leur avait ensuite imposé comme pénitence une contribution de 90 livres tournois imputables, à l’érection d’une chapelle dans le couvent de Carcassonne. La somme avait été payée bien à contre-cœur, on venait d’achever la chapelle, et les prêcheurs en avaient fait la dédicace en narguant les bourgeois, plus humiliés que repentans.

Arrivent donc à Toulouse auprès des réformateurs un grand nombre de femmes d’Albi séparées de leurs maris emmurés, qui racontent avec des larmes les atroces pratiques de leur inquisiteur, de leur évêque. Arrivent en même temps de Carcassonne et des lieux voisins de notables citoyens qui dénoncent d’autres méfaits, et conseillent aux envoyés du roi d’interposer leur autorité, s’ils veulent prévenir un éclat nouveau de l’indignation populaire. Arrive aussi de Narbonne, où il vient de faire un séjour de

  1. Bernardus Guidonis, Historiens de France, t. XXI, p. 743. — Guillaume Garric eut l’habileté de se soustraire ensuite pendant plusieurs années à la vengeance des inquisiteurs. Il vécut excommunié, mais libre. Plus tard, après la mort de Philippe le Bel et celle de Clément V, quand l’inquisition, affranchie de toute surveillance, sévit avec une nouvelle fureur, Guillaume Garric, alors très âgé, fut arrêté, emmuré, et réduit par la dureté du supplice à faire un aveu quelconque d’hérésie. En ces circonstances, le 14 juillet 1321, il fut absous et réconcilié avec l’église ; mais les inquisiteurs Bernardus Guidonis et Jean de Belna lui imposèrent comme pénitence, en levant son excommunication, de fournir à ses frais un soldat pour la plus prochaine expédition en terre sainte, et provisoirement de quitter la France dans le délai de trente jours. Cette sentence a été publiée par Philippe de Limborch, Liber sentent. Inquisit. Tolosanœ, p. 282.