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de combattre en face, à découvert, un ordre entier, le plus puissant des ordres, en conjurant contre lui toutes les terreurs et toutes les vengeances, et, sans se promettre la victoire, il engage résolument la lutte.

Vers le mois d’août de l’année 1301 arrivent à Toulouse Jean de Picquigny, vidame d’Amiens, et Richard Leneveu, archidiacre d’Auge dans l’église de Lisieux, nommés par le roi réformateurs du Languedoc. Le Languedoc était une province où l’on ne reconnaissait le roi de France comme seigneur immédiat que depuis l’année 1271. Ainsi nouvellement annexée au domaine royal, cette province avait eu dès l’abord à subir les charges de cette annexion, dont elle attendait encore les profits. Quand le présent attriste, la jeunesse espère en l’avenir ; mais la vieillesse regrette le passé, et ce regret peut facilement devenir séditieux. Averti que Toulouse commençait à parler de ses anciens comtes, Philippe le Bel y envoyait deux hommes d’une expérience et d’un dévouement éprouvés, avec un titre qui fait assez connaître leur mandat. Ils venaient réformer en commun, l’un laïque et l’autre clerc, tous les désordres, et, sinon corriger tous les abus, du moins les reconnaître et les signaler.

Dès que l’on est informé de leur présence dans les murs de Toulouse, plusieurs députations leur sont adressées par les villes d’Albi, de Carcassonne, de Cordes, de Castres, de Limoux, villes albigeoises qui, depuis la fin des croisades entreprises pour les ranger à l’orthodoxie romaine, c’est-à-dire depuis l’année 1229, ont été constamment opprimées par l’inquisition, et qui doivent supposer, quand on parle de réforme, qu’il s’agit enfin de les protéger contre leurs tyrans. Il existe dans la ville d’Albi un couvent de frères prêcheurs où les fonctions de prieur ont été quelque temps exercées par Foulques de Saint-George, élu récemment inquisiteur de Toulouse. Foulques avait des droits à cette rapide promotion. La ville d’Albi ne possède pas un inquisiteur particulier, et, privée de ce privilége, elle est dans la dépendance de Nicolas d’Abbeville, inquisiteur de Carcassonne ; mais celui-ci, ne pouvant suffire à l’administration d’un aussi vaste territoire, s’est adjoint comme vicaire le prieur d’Albi. C’est dans ce vicariat que Foulques de Saint-George s’est montré digne d’une plus haute fonction. Il ne laissait pas écouler une semaine sans faire incarcérer par le sénéchal quelques gens d’Albi choisis parmi les plus notables. En ces gens d’Albi, qu’il prétendait bien connaître, il ne voyait, disait-il, que des mécréans, apôtres ou sectateurs des mêmes hérésies.

Sur la quantité comme sur la qualité de ces hérétiques, nous sommes exactement informés. Leurs noms, leurs interrogatoires, le recensement de leurs possessions territoriales, ont été consignés,