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plein du Saint-Esprit ; la seule différence entre eux, c’est que les uns font dater cette inspiration plénière du moment de son baptême, et que les autres ont admis le dogme de sa conception miraculeuse. À Rome, l’auteur du curieux livre intitulé le Pasteur d’Hermas ne va pas plus loin non plus dans l’idée qu’il se fait de la personne de Jésus, tandis que son concitoyen Clément Romain s’attache à reproduire les idées et les termes de la théologie paulinienne. Cependant il est visible que les préférences de la majorité, surtout chez les païens convertis, sont pour les théories qui élèvent le Christ le plus haut possible. Déjà, dans un sens, il est vrai, un peu païen, il n’est pas inoui qu’on lui applique le nom de dieu. Il semble que, plus on exaltera sa dignité, meilleur chrétien l’on sera.

On se demandera peut-être ce qui retardait si longtemps l’heure où le sentiment chrétien pourrait se donner satisfaction complète en assimilant de tous points Jésus à Dieu. Il y avait à ce retard deux causes principales. La première était l’histoire évangélique elle-même, qui ne s’accommodait pas facilement d’une divinisation aussi complète. Après tout, elle perpétuait la mémoire du doux et humble Fils de l’homme, priant, luttant, souffrant, pleurant, mourant, bref dans des situations qui ne sauraient convenir à la perfection absolue. Si l’église avait pu, comme la gnose, se débarrasser de ces réalités gênantes en n’y voyant que des apparences trompeuses, uniquement destinées à faciliter les relations terrestres d’un esprit rédempteur, elle ne se serait pas longtemps arrêtée devant cette difficulté historique ; mais heureusement pour elle son bon sens la sauva de cette fantastique explication qui n’aboutissait à rien moins qu’à reléguer la personne tout entière du Christ dans la catégorie des spectres. Ou voulait donc exhausser autant que possible cette personne adorée, mais on ne pouvait oublier ce qui, en comparaison de l’Etre absolu, devait s’appeler imperfection. L’autre cause était l’intérêt du monothéisme, toujours éveillé par la lutte à mort engagée avec le vieux polythéisme. Au moment où les polémistes chrétiens dirigeaient contre la pluralité des dieux tous les argumens de la philosophie et tous les sarcasmes de leur ironie, allaient-ils s’exposer au reproche d’avoir aussi deux dieux, le père et le fils, tous deux absolus, tous deux parfaits ? C’était impossible, et pourtant on devait sentir plus ou moins clairement que, dans la voie où elle s’était engagée, la pensée chrétienne se trouvait dans une impasse.

C’est alors qu’apparut sous forme chrétienne une idée éclose un siècle auparavant dans cet ardent foyer moitié juif, moitié platonicien d’Alexandrie, où s’opéra la fusion religieuse de l’Orient et de