Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie religieuse de ses partisans, l’adoption de la foi de Jésus ne fut possible à leurs yeux que sous la forme de la foi en Jésus. On ne crut pouvoir s’approprier l’idéal divin qui rayonnait dans sa vie qu’à la condition de concentrer sur sa personne toute l’admiration, tout l’amour, toute la confiance que cet idéal inspire. Cette évolution du sentiment chrétien ne put que hâter l’apothéose du Christ. Du moment en effet qu’il n’était plus seulement l’initiateur et le modèle de la foi, qu’il en devenait l’objet, celle-ci devait lui attribuer aussitôt que possible toutes les perfections de la Divinité. C’est ce qui arriva. Dans l’Apocalypse, en récompense de son sacrifice, Jésus reçoit autant d’attributs divins qu’un homme peut en réunir sans cesser d’être homme. Bientôt se forme le mythe de sa conception miraculeuse dans le sein d’une vierge. Jusqu’alors on disait, pour expliquer sa supériorité spirituelle : « Il était rempli du Saint-Esprit. » Désormais on dira que le Saint-Esprit est l’auteur même de son être. Dans la chrétienté qui parle hébreu, l’esprit de Dieu, désigné par un mot féminin, est la mère de Jésus ; dans la chrétienté qui parle grec, il devient son père. On n’a pas encore l’intention de le séparer de l’humanité ; c’est presque à leur insu que les naïfs générateurs de cette légende poétique commencent à le détacher partiellement de notre race. Chez l’apôtre Paul, qui n’a pas suivi Jésus, qui introduit la spéculation rabbinique dans la doctrine chrétienne et qui donne à la « foi en Christ » une prépondérance absorbante parmi les mobiles de la vie religieuse, ce mouvement du dogme est encore plus marqué. Ce n’est pas que cet apôtre enseigne la naissance miraculeuse de Jésus, du moins il n’en parle nulle part ; mais chez lui l’homme devenu céleste des premiers croyans est proposé comme l’homme du ciel. Le Christ dans les épîtres de Paul est tout à la fois principe et personne, et, s’il est encore positivement homme, il est déjà d’une humanité transcendante, supérieure à l’humanité empirique et confinée sur la terre. En qualité d’homme du ciel, il peut avoir existé avant de venir sur la terre, et dans les dernières épîtres pauliniennes, qui accusent un développement plus complet des doctrines énoncées dans les premières, il devient le principe métaphysique de conciliation par lequel Dieu résout les antinomies de l’univers. Ces évolutions de la croyance relative à la personne de Jésus nous mènent jusqu’au-delà du premier siècle. Il n’y a encore aucune doctrine officiellement arrêtée. Les divers points de vue professés dans la période antérieure continuent de vivre côte à côte sans que l’harmonie en soit troublée. D’autres sujets de dispute détournent l’attention. Les descendans des Juifs convertis restent fidèles à leurs opinions des premiers jours. Pour eux, Jésus est toujours un homme