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un mouvement politique et religieux qui ne nous est malheureusement décrit que dans des documens rares, fragmentaires et hostiles, mais qui, tel qu’on peut le reconstituer par les procédés de la critique historique, mérite certainement notre attention.


I.

L’histoire du dogme de la divinité de Jésus-Christ est des plus simples, à la seule condition que l’on ne regarde pas le quatrième évangile comme authentique. Si le quatrième évangile est l’œuvre d’un apôtre immédiat de Jésus-Christ, rapportant exactement les paroles de son maître, alors il faut penser que Jésus lui-même a revendiqué la dignité divine, qu’il s’est posé en être surnaturel, venu du ciel où il existait avant d’apparaître sur la terre, n’ayant dressé que momentanément sa tente au sein de l’humanité, à laquelle il est supérieur, antérieur, et, pour tout dire, étranger ; mais de graves et nombreuses raisons, que nous avons déroulées ici même[1], doivent au moins ébranler la tradition qui attribue cet évangile à l’apôtre Jean. Fût-on résolu à ne pas tenir compte de ces objections, il resterait toujours l’inextricable énigme que voici : comment la chrétienté, après avoir d’abord adoré dans son chef le Verbe personnel de Dieu, en serait-elle venue à ne plus voir en lui qu’un homme né miraculeusement ou même né, comme nous tous, d’un père et d’une mère terrestres ? Les religions historiques, dans la période de formation première, vont toujours en rehaussant la dignité de leurs fondateurs. L’enthousiasme peut bien faire d’un homme un dieu, il ne fera jamais l’inverse. Si au contraire on se décide à reporter la composition du quatrième évangile à la date approximative que lui assignent sa métaphysique et l’application qui en est faite à la personne de Jésus, c’est-à-dire vers le milieu du IIe siècle, tout se succède régulièrement, logiquement et suivant une loi constante qui peut se formuler ainsi : dans son amour passionné pour Jésus, la chrétienté primitive l’a toujours rapproché de Dieu autant qu’elle a cru pouvoir le faire, et l’histoire du dogme de sa divinité est une apothéose. Hâtée par le sentiment, retardée par la réflexion, cette apothéose progressive ne s’arrêtera que le jour où Jésus sera Dieu au sens absolu de ce mot ; mais, comme on peut le penser, la distance qui sépare le prophète de Nazareth de la seconde personne de la trinité n’a pas été franchie en un jour.

À l’origine de toute cette histoire se trouve donc un sentiment

  1. Voyez la Revue du 1er  mai 1866.