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constructeur du Havre, M. Mazeline, les moyens de mettre un bateau à vapeur quelconque en état de transformer rapidement ses grilles horizontales à charbon en grilles verticales à pétrole.

Cela nous amène à envisager l’aspect commercial de la question qui nous occupe. Quelles sont jusqu’à présentées sources d’huiles minérales auxquelles pourrait s’alimenter l’industrie des transports maritimes de l’Occident ? A proprement parler, aussi longtemps qu’il n’aura pas été découvert en Europe des gîtes de pétrole très abondans, d’une exploitation et d’un débouché faciles, il faudra aller chercher l’huile minérale en Amérique. Les huiles lourdes produites dans la fabrication du gaz sont un combustible excellent, et dont le prix, à égalité de chaleur produite, ne serait pas sensiblement supérieur à celui de la houille ; mais les foyers de l’industrie engloutiraient en quelques jours tout ce que les usines à gaz en peuvent posséder en réserve. Les huiles de schiste constitueraient une autre provision ; en Europe, l’abondance des terrains dits bitumineux peut même faire croire au premier abord que ces huiles viendraient apporter à la consommation un appoint sérieux. Toutefois le prix de revient de ces produits est condamné par la nature des choses à être toujours trop élevé pour qu’il leur sort possible de lutter avec la houille. Il ne reste donc que le pétrole liquide extrait du sein de la terre, et encore faut-il que ce pétrole, s’il appartient à la dangereuse catégorie des huiles légères, soit préalablement dépouillé à peu de frais des matières volatiles qu’il renferme. Or les gîtes de pétrole indigène qui existent en Europe sont inexploités ou très peu productifs, si l’on excepte ceux du Caucase, et l’on sait que ces derniers n’ont aucun débouché sur l’Occident à cause de la longueur et du mauvais état des routes qui les séparent des grands centres de civilisation. Il faut donc de toute nécessité s’adresser momentanément à l’Amérique ; mais le pétrole est grevé, pour le transport en Europe, d’un fret qui s’élève à plus des trois quarts du prix final[1]. Le problème qu’étudient M. Henri Sainte-Claire Deville, M. Dupuy de Lôme et M. Mazeline est donc le véritable. Jusqu’à ce que l’Europe se suffise à elle-même, il faut que les navires faisant les voyages de l’Amérique du Nord puissent brûler du charbon à l’aller et du pétrole au retour. Ajoutons qu’aucun steamer n’a encore traversé l’Océan en faisant usage du nouveau combustible.

On a émis l’espoir que l’emploi des huiles minérales au chauffage des foyers de l’industrie permettrait de combler en France le différence annuelle entre la consommation du pays en charbon et la production des houillères françaises. Il suffit d’un calcul très simple pour dissiper cette illusion. En sept années (de 1861 à 1868 exclusivement), les États-Unis n’ont pas retiré de la terre 2 millions de tonnes de pétrole brut. En supposant que toute cette quantité, qui a été absorbée presque entièrement

  1. Voici les nombres : quand le pétrole coûte au Havre 32 francs les 100 kilogr., il coûte 7 fr. 50 dans Oil-Creek, lieu de production le plus important.