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servent à l’enseignement ; on a fait la police des cours de la Faculté, on a surveillé les leçons, épié les moindres paroles échappées à un professeur dans l’improvisation. Bref, chacun s’y est mis, on a fait le dossier de tout ce qu’on à découvert et même de ce qu’on a imaginé, et voilà le sénat mis en demeure de prononcer son arrêt ! Une première fois la discussion a été ajournée, parce que les cardinaux, qui devaient jouer le premier rôle dans ce débat philosophique, étaient dispersés dans leurs diocèses pour les fêtes de Pâques. Enfin la discussion est venue, longuement préparée avec un certain art de mise en scène qui fait honneur au pétitionnaire. Elle a été vraiment curieuse, instructive, assez triste, et même un peu amusante.

S’il ne s’agissait que de la liberté de l’enseignement supérieur, nous commencerions par dire que nous l’admettons parfaitement, que même le meilleur moyen d’échapper à toutes ces contradictions, à tous ces ennuis d’une situation fausse, quelquefois compromettante, c’est de laisser une latitude complète à toutes les doctrines, à toutes les opinions. La liberté, c’est le droit pour les individus, et pour l’état, simple gardien de l’ordre public, c’est l’absence de toute responsabilité dans la lutte inévitable des idées, dans la mêlée des opinions philosophiques ; mais, la situation actuelle étant donnée, nous serions portés à croire qu’on a tendu un piège au sénat en lui offrant l’occasion d’une manifestation si insolite, et les éminens prélats qui siègent dans cette assemblée sont tombés dans le piège avec la candeur d’hommes accoutumés à vivre d’une autre vie que la vie de tout le monde. Les cardinaux et même M. l’archevêque de Paris, malgré son esprit modéré et relativement libéral, les prélats sénateurs n’ont pas vu qu’ils s’engageaient dans une voie sans issue, que cette discussion offrait un double danger. D’un côté, le sénat changeait absolument de caractère sans y prendre garde, et se trouvait conduit à se constituer en tribunal suprême appelant à sa barre les opinions philosophiques, déterminant ce qui est permis et ce qui n’est pas permis dans l’enseignement, formulant en quelque sorte une orthodoxie scientifique, faisant pénétrer les considérations religieuses dans l’étude de la médecine. Ainsi donc nous voilà bien avancés après cela. Il y aura une médecine conservatrice et une médecine révolutionnaire, une médecine catholique, protestante, israélite, matérialiste, spiritualiste ou libre penseuse, puisque le mot a été prononcé. Le premier acte du médecin, du physiologiste, sera donc de signer une profession de foi philosophique ou religieuse avant de procéder à ses expérimentations ! Si le sénat n’eût fini par se réfugier dans un prudent ordre du jour, il eût mis sans doute le ministre de l’instruction publique dans un étrange embarras. Quelle lumière eût trouvée le gouvernement dans cette injonction d’avoir à surveiller le matérialisme dans l’enseignement Se la médecine ? Où est le matérialisme ? où n’est-il pas ? à quels signes se fait-il