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intérêt libéral, c’est un intérêt conservateur plus qu’on ne le croit. Lorsque Cavour, il y a une quinzaine d’années, entreprenait, lui aussi, d’appliquer dans son petit Piémont les doctrines de liberté commerciale, il se trouvait en face des mêmes objections ; il les réfutait victorieusement, comme M. Rouher l’a fait l’autre jour, et, se tournant vers ces conservateurs attardés qui se font un dogme de la routine, il leur répondait avec une singulière hauteur de vues : « Je dis, moi, que l’allié le plus puissant du socialisme, dans l’ordre intellectuel bien entendu, c’est la doctrine protectioniste ; elle part absolument du même principe : réduite à sa plus simple expression, elle affirme le droit et le devoir du gouvernement d’intervenir dans la distribution, dans l’emploi des capitaux ; elle affirme que le gouvernement a pour mission, pour fonction, de substituer sa volonté, qu’il tient pour la plus éclairée, à la volonté libre des individus. Si ces affirmations venaient à passer à l’état de vérités reçues, je ne vois pas ce qu’on pourrait répondre aux classes ouvrières, à ceux qui se font leurs avocats, quand ils viendraient dire au gouvernement : Vous croyez qu’il est de votre droit et de votre devoir d’intervenir dans la distribution du capital et d’en réglementer l’action ; pourquoi donc ne vous mêlez-vous pas de l’autre élément de la production, le salaire ? Pourquoi ne réglez-vous pas les salaires ? pourquoi n’organisez-vous pas le travail ? En vérité, il me semble que le protectionisme admis, il faut admettre la plupart des idées socialistes, sinon toutes… » Et c’est ainsi que ce grand libéral, par cela même qu’il était un libéral, était aussi un grand et prévoyant conservateur. Nous souhaitons à M. Rouher la même fortune, non pas seulement, bien entendu, en matière de commerce et d’industrie.

La prohibition, disions-nous, on l’a vue récemment et au même instant au sénat sur un autre terrain ; on l’a vue s’épanouir dans toute sa naïveté à propos de l’enseignement supérieur, et vraiment c’est bien là une des discussions les plus singulières qui se soient élevées depuis longtemps. De quoi s’agit-il ? On le sait déjà : il y a quelques mois, un pétitionnaire de bonne volonté a rassemblé un certain nombre de signatures parmi ses connaissances ou parmi une foule de braves gens de province qui n’ont jamais mis le pied sur la place de l’École de Médecine, et, dûment investi par ses copétitionnaires de la mission de restaurer les bons principes, il a fait parvenir sa supplique au sénat, en lui demandant de mettre enfin une digue au torrent du matérialisme qui envahit l’enseignement de la médecine dans la Faculté de Paris, ou, pour rester dans le vrai, il s’est fondé sur ce prétendu enseignement matérialiste distribué au nom de l’état pour réclamer la liberté de l’instruction supérieure, c’est-à-dire la possibilité de créer des facultés libres. Cela fait, on ne s’est pas arrêté en si bon chemin, on est allé dépouiller les thèses soutenues par les élèves de l’École de médecine, éplucher les livres qui